Pourquoi ce titre ?

Dounouia, La Vie.

Cela fait une quinzaine d’années que je vais régulièrement au Mali. La première fois c’était pour voir mon frère jumeau, Claude, qui travaillait à Koutiala pour le compte de l’ONU. Nous ne nous étions pas vus depuis longtemps. Les retrouvailles étaient émouvantes et denses. J’avais quitté un jeune étudiant un peu hésitant, je retrouvais  un homme solide au corps athlétique et au regard franc.

Claude, refusant le confort doré des villas pour expatriés, vivait chez son maître en percussions maliennes, Lamine Dembélé, grand « Djembéfola ». 
Il évoluait parmi une nuée d’enfants joyeux, dont Modibo le fils de Lamine qui venait de naître, parlant avec eux couramment le bambara, et suivait, quand il ne travaillait pas, les déplacements de la troupe de Lamine dans les rues de Koutiala. Tantôt il fallait animer un mariage, tantôt un baptême, tantôt une fête religieuse. Claude y jouait du djembé avec la troupe, accompagnant le soliste flamboyant qu’était Lamine. Je n’avais jamais vu Claude aussi joyeux et calme à la fois. Il avait été initié. 

Quand je suis arrivé, je me suis juste ajouté à cette petite famille et à cette petite troupe sans que personne ne me réclame quoi que ce soit. J’étais là, je suivais.
J’avais lu beaucoup d’ouvrages d’ethnologie pendant mes études et, aussi, les lettres sereines et denses  de Claude. J’étais depuis longtemps fasciné par l’Afrique, mais ce que je découvrais là dépassait mes espérances.

La beauté des rythmes, des tissus, des corps dans la danse, la puissance du soleil, la densité des rites, tout cela me submergeait. Je faisais chaque jour l’expérience du sublime.
Je sortais d’une expérience militaire douloureuse. Ce que je voyais me renouvelait complètement.

Quelques semaines après mon arrivée Claude a dû partir. Après deux ans passés à Koutiala, il changeait de mission.
Il est parti à Bamako, la capitale, à une journée de route de Koutiala. Et moi, je suis resté. Lamine est devenu mon maître, mon intermédiaire, et il m’a donné son nom. Au Mali, je m’appelle Lamine Dembélé, comme lui.

J’ai alors appris patiemment la culture malienne, le bambara de Lamine (il y a plusieurs bambara), et la nature profonde de sa pensée. Lamine et moi passions des heures et des heures à palabrer. Il m’expliquait sa vision de la vie, comme il le fait encore aujourd’hui.

L’un des mots qui revenait le plus fréquemment dans sa bouche, comme dans celle de Claude, était « Dounouia ».
Je l’écris « Dounouia » parce que c’est ainsi que je l’ai appris, là-bas à Koutiala. Ce n’est pas « Dounia », ni « Donia », c’est « Dounouia ». Evidemment,  « Dounouia » vient de l’arabe « Donia », le monde, la vie, mais pour Lamine, c’est « Dounouia ». Alors, ce sera « Dounouia ». 

Ce mot exprime la nature exacte de la pensée de Lamine qui est d’être fataliste. Cela s’exprime par de nombreuses expressions, mais aussi de nombreuses expériences que nous avons vécues ensemble. Lamine disait : « La vie – Dounouia – nous entraîne où elle veut, nous sommes ses jouets. Nous n’avons d’autre choix que de l’accepter comme elle se présente. »

Dans notre film, Modibo est arrivé en France. Il n’a rien demandé, il n’a rien voulu, mais il est là, dans ce nouveau pays où tout lui est étranger. Quelle « Dounouia » l’y attend ?

Olivier Broudeur, janvier 2011

 

   

 

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