Journal rétro-actif

Août 2007: nous remportons  le concours Estran qui nous permet, cadeau inespéré, de faire notre premier film, Erémia-Erèmia.

Février 2008 : Ce film remporte le prix spécial du jury au festival de Clermont-Ferrand. Ce prix est un viatique. Mathieu Bompoint, de Mezzanine Films nous contacte. Quel film pourrions-nous faire ensemble ?

Mars 2008 : Modibo, 14ans, petit frère symbolique d’Olivier, disparaît de son village de Koutiala, au Mali. Nous savons qu’il a pris le numéro de téléphone d’Olivier avant de partir. Nous pensons alors à une tentative de migration clandestine.  Olivier regrette de ne pas avoir su décrire à Modibo les réalités de la société française. Nous décidons de construire un scénario autour de ce sujet.
Anthony propose d’installer l’action dans l’univers de « cité » que nous connaissons bien par notre travail d’éducateur à Brest. Les questions que nous nous posons sont : « Modibo arrive en France à la faveur d’un regroupement familial (fictif). Que fait-il ? Que découvre-t-il ? Quelles sont ses réactions ? Et les jeunes de son âge qui l’accueillent, comment vivent-ils ? Comment parlent-ils ? Quels sont leurs propres doutes ? Comment accueillent-ils Modibo ? Que font-ils pour lui ? ». Nous travaillons les scènes et dialogues en écoutant les jeunes et en imitant, sans les caricaturer, leurs gestes et démarches (Anthony fait cela très bien !).

Juin 2008 : Le scénario est envoyé à Mathieu Bompoint qui le soutient et décide de le proposer aux bailleurs classiques.
Malgré des recherches, nous sommes sans nouvelles de Modibo. Par où a-t-il pu tenter de passer ; la Mauritanie, l’Algérie, la Lybie ? Est-il à Seuta ? Nous tentons de prendre des contacts, sans succès.

Octobre 2008 : Après le financement du département du Finistère nous obtenons celui de la région Bretagne puis celui du CNC et, enfin, cadeau ultime, le pré-achat d’Arte.  Le film va se faire, nous en sommes très heureux !
Mais nous n’avons toujours aucune nouvelle de Modibo. Nous sommes très pessimistes quant au sort qui a pu être le sien.

Novembre 2008 : Nous commençons les repérages et le casting. Les choses se déroulent bien, nous sommes bien entourés. Herwann Hasseh,  excellent chorégraphe brestois, va nous aider pour les parties dansées du film.
Nous voyons plus de 200 garçons et filles auxquels Herwann fait passer une audition  de danse (qui n’est pas de tout repos !) tandis que nous leurs faisons jouer des scènes. Anthony filme.
Parallèlement, nous parvenons à trouver, non sans difficulté, des Maliens de bonne volonté pour composer une famille. C’est une chose assez difficile pour eux parce qu’ils n’aiment pas trop ce rapport à l’image. 
Notre grand problème reste le personnage de Modibo. Nous ne trouvons pas de jeune, ici, pour le jouer. En effet, soit les jeunes d’origine malienne que nous rencontrons dansent, mais ne parlent plus le bambara, langue principale du Mali, soit ils parlent le bambara, mais ne veulent pas danser.

Décembre 2008 : Cadeau de Noël extraordinaire avant l’heure, Olivier reçoit un appel du papa de Modibo, Lamine, lui annonçant que Modibo est vivant ! Sort terrible, cependant, il est devenu esclave et cultive le maïs à la frontière mauritanienne.  Non sans difficultés (Lamine s’est, par exemple, retrouvé lui-même en prison parce qu’il était suspecté - chose impensable pour cet ami qu’Olivier et sa famille connaissent depuis 15 ans ! -  d’avoir vendu Modibo) nous parvenons à faire libérer Modibo qui rentre avec son père au village.

Janvier 2009 : Nous commençons les séances de jeu avec les jeunes acteurs du film. Martine Geffrault-Cadec, bien connue dans le monde du théâtre brestois, nous aide à les diriger. Les danseurs, quant à eux, font des stages de danse conduits par la main experte d’Herwann Hasseh.
Nous n’avons toujours pas de jeune acteur pour jouer le personnage principal de Modibo. Mais Olivier a, depuis la belle nouvelle, une idée derrière la tête ; et si Modibo jouait le rôle que nous avons écrit pour lui ? Une chance, Fabrice Main, notre chef opérateur, part au Mali en vacances. Il va pouvoir faire passer un casting à Modibo.

Février 2009 : Avec émotion, nous découvrons Modibo devant la caméra. Il est époustouflant ! Nous décidons de le faire venir. Mathieu nous averti que ce ne sera pas simple. En effet, le visa s’avère très compliqué à obtenir.

Mars 2009 : La préparation s’intensifie. Les danseurs sont excellents. Les jeunes acteurs s’améliorent. Des liens se tissent entre les personnes qui constitueront la famille malienne.  Mais Modibo n’est toujours pas là alors que le tournage est prévu en avril !

Fin Mars 2009: Enfin, Modibo a obtenu ses papiers ! Il arrive !
Il découvre les choses comme nous l’avions imaginé, entre fascination, doutes, appréhension et  innocence. Très vite, il commence les répétitions avec les autres. Malgré l’obstacle de la langue, Modibo ne parle pas français (Olivier lui sert de traducteur), les liens se construisent entre les jeunes acteurs.  Dans les moments de grands doutes Modibo peut compter sur le soutien des Maliens qui vont composer sa famille dans le film. Modibo ne sait pas ce qu’est un film. Il découvre et la société française et le monde du cinéma et sa famille française qu’il n’avait vue auparavant qu’au Mali. Ça fait beaucoup de choses !

Début avril 2009 : Le tournage approche. Tout le monde semble prêt.  Modibo et Emilie, l’actrice principale, se sont beaucoup entrainés en danse.  Nous sommes assez fébriles, cependant. Il y a tant de choses à organiser et nous nous sentons encore si novices… Heureusement l’équipe est formidable et compétente. Comme Olivier le dit : « quand on se sent incompétent on a tout intérêt à s’entourer de grands professionnels ! »

Mi-avril 2009 : Le tournage commence. Réaliser un film, c’est vivre à 200 pour cent : sur le plateau, nous avons souvent l’impression que le corps et l’intelligence s’unissent complètement pour tendre vers ce point de concentration extrême qui fait du travail l’exact reflet de la pensée.
Anthony réfléchit en permanence avec Fabrice Main, le chef opérateur, à la cohérence des plans que nous avons écrits et que Julien Lamanda nous a dessinés (cette action a aussi permis de bien raconter l’histoire à Modibo). Olivier travaille plutôt à la direction d’acteur.  Mais Anthony peut très bien intervenir sur le jeu et Olivier sur la construction des plans.
Pour Olivier être avec Modibo ici, en France, est émouvant. Modibo a grandi depuis le dernier voyage d’Olivier au Mali, en 2006. C’était alors un enfant, c’est aujourd’hui un adolescent curieux, joyeux et vif. Sous la férule de Lamine, son père, c’était un apprenti joueur de djembé et c’est aujourd’hui un excellent percussionniste doublé d’un très bon danseur.
Ici, sur le tournage, nous sommes fiers de sa progression quotidienne : l’acteur en lui s’affirme de jour en jour. Dans le dialogue incessant, en bambara, qu’Olivier mène avec lui, c’est lui qui finit par guider son grand frère réalisateur dans la manière de jouer les scènes. Il réfléchit, propose, s’énerve quand Olivier ne comprend pas, rit, se concentre, joue, puis suggère de rejouer la scène, la rejoue et s’enthousiasme quand il la sait réussie. Le regarder vivre, simplement, est un cadeau.
La relation entre Modibo et Emilie, l’actrice principale, est magnifique. Ils s’épaulent l’un l’autre. Ils ne se montrent jamais fatigués de cette promiscuité quotidienne, mais apprennent, au contraire, à se connaître malgré la barrière de la langue. Quelque chose se passe entre eux, une estime réciproque naît, une amitié qui se voit à l’image quand ils échangent des regards à la fin du film, dans la danse et sur la terrasse de l’immeuble. Ce lien qu’ils ont construit est essentiel à la crédibilité de notre histoire.
Tourner, c’est se poser des questions. C’est rendre une construction narrative, celle du scénario, réelle. C’est aussi une récriture parce qu’il va de soi que les choses ne se passent pas comme on les avait imaginées. Les décors ne correspondent pas exactement ; tel acteur ne va pas pouvoir donner autant que l’on pensait ; tel autre va donner beaucoup plus et va créer des choses nouvelles ; telle prise de son ne pourra se faire normalement ; tel texte a été mal écrit et il faut le repenser ; etc. C’est passionnant, mais aussi dense et perturbant.  Nous ne cessons jamais de nous demander ce que nous voulons raconter et quelle est la pertinence de ce que nous tournons dans notre narration : « pourquoi faire un gros plan ici ? Pourquoi cette focale plutôt que celle-là ? Pourquoi faire un « caméra à l’épaule »  pour cette scène? Il pleut, est-ce bien la peine de faire une autre prise ? Etc. »

Fin avril 2009 : Le tournage, à Brest, s’achève. Nous comprenons que nous avons eu beaucoup de chance (« Ne pas avoir de chance dans le cinéma est une faute professionnelle » dixit Antoine Héberlé, grand chef opérateur. Cette phrase nous fait beaucoup rire, mais nous sert aussi de mantra).
Modibo, Emilie, Sami, Zéphyr, Yann, Ritchie, Issa, Awa, Chattah, Aminata les acteurs, les danseurs et l’équipe ont tout donné.  Nous sommes à la fois fatigués et heureux que tout se soit bien passé, mais un peu triste aussi que l’aventure s’achève. Il va falloir retourner à la vie normale !
Modibo, faute d’avoir obtenu un visa assez long, doit repartir. C’est avec beaucoup d’émotion que les jeunes acteurs et danseurs du film vont le saluer à la gare. Ils lui ont préparé différents cadeaux de départ. Julie Maresq, notre photographe de plateau, lui fait le cadeau d’un superbe album de photos de tournage. Quelle belle idée ! Outre lui rappeler de beaux souvenirs, cet album permettra aussi à Modibo de montrer au Mali ce qu’il est venu faire en France et de convaincre quelques sceptiques !

Début mai 2009 : Nous commençons le montage sans les images du Mali que nous tournerons plus tard. Le montage est, après celle du scénario et celle du tournage, une autre écriture, ou plutôt un autre moment de l’écriture cinématographique. Pendant le montage il ne faut pas avoir de tabou ou de dogme. Il faut être prêt à tout changer, l’ordre des scènes, l’importance des personnages, jusqu’à l’histoire elle-même ! Et c’est ce que nous faisons. Nous constatons que certains acteurs ne sont pas aussi bons que d’autres, que certains dialoguent étaient vraiment mal écrits, qu’un point de l’histoire ne fonctionne pas du tout ; alors nous modifions.
Nous montons avec Julien Cadilhac qui est devenu un ami depuis notre premier film. Julien n’est pas qu’un technicien, c’est aussi un artiste dont les avis sont des conseils précieux. Nous disons d’ailleurs qu’avec Julien, nous faisons un trio de réalisateurs.
Nous montrons à des amis proches, une première mouture de montage, qui n’est, finalement, qu’un bout à bout, c’est-à-dire une citation littérale du scénario. Ils ne sont pas très enthousiastes. Ça nous pique un peu, alors on se remet au travail de manière acharnée. On arrive à une autre version jugée meilleure quand le jour du départ pour le Mali arrive.

 Mai 2009 : Accompagnés de Fabrice, nous partons au Mali tourner les plans de réminiscence écrits dans le scénario.
Les amis d’Olivier viennent nous accueillir à l’aéroport. Modibo et Lamine, son père, ami de longue date et père symbolique d’Olivier, arrivent aussi. Il y a de l’émotion.
Tourner au Mali n’est pas une mince affaire. Il vaut mieux y connaître du beau monde si l’on veut réussir sans encombres ! Malheureusement, ce n’est pas notre cas ! Notre employeur ne nous a donné que sept jours. Nous n’avons que deux scènes - une dizaine de plans - à tourner. Ça devrait aller vite. Et pourtant ! Nous sommes arrivés le lundi et devions partir le dimanche. Eh bien le samedi nous n’avions toujours rien filmé !
Pour parvenir à nos fins, nous sommes contraints de faire le pied de grue devant des bureaux, de forcer des portes, de voler quelques plans.
Tout cela est un peu de notre faute, nous aurions dû mieux préparer notre arrivée en tentant de prendre contact avec un responsable politique local.  Quelle que soit la nature de nos idées et de nos principes, il faut savoir faire avec les réalités locales sans juger, ni s’impatienter.
Nous repartons finalement assez satisfaits, mais après avoir vécu quelques aventures mémorables qu’Anthony (qui ne parle pas bambara !) a su dénouer avec un calme déconcertant (voir par ailleurs les commentaires des photographies).  Modibo a été extraordinaire, comme d’habitude. Modibo est un acteur.
Nous laissons derrière nous les bobines qui ne peuvent franchir les rayons, à l’aéroport. Nous ne les récupérerons que plusieurs semaines plus tard après quelques avanies elles aussi mémorables !

Juin 2009 : Nous recevons les rushs du Mali. Les images sont sublimes ! Nous voudrions toutes les mettre dans le film. Malheureusement, ce n’est pas possible. Cela donnerait en effet un film lourd, redondant et esthétisant. Il nous faut donc tailler dans la masse, triturer le corps des rushs pour en tirer la « substantifique moelle ».
Au bout de deux semaines de montage, nous avons la tête farcie et ne voyons plus rien d’intéressant. Il est temps de prendre des vacances ! Nous nous éparpillons dans la nature.

Septembre 2009 : Nous rencontrons Hélène Vayssières, d’Arte qui commente notre film. Elle nous fait des critiques fort intéressantes et nous suggère même de changer un peu l’histoire. La solution qu’elle trouve nous éclaire et nous relance. Nous retournons au travail et finissons ce sacré montage.
Le montage est un exercice passionnant, mais terriblement  périlleux. On se dit que l’on peut y perdre le film en permanence.

Octobre 2009 : C’est au tour du mixage. Il se passe à Paris dans une pièce noire. Un week-end dans le noir à écouter 1000 fois le même son, ce n’est pas ce qu’on fait de plus plaisant ! Mais il faut tout de même se concentrer pour ne pas faire d’erreur et pour bien choisir une « couleur » au film.

Novembre 2009 : C’est au tour de l’étalonnage. Nous sommes très divisés sur l’étalonnage. Anthony désire des extérieurs  ternes et des intérieurs chauds. Le choix de passer par le numérique, alors que nous avions tourné en pellicule, n’est probablement pas le meilleur. Nous perdons beaucoup du « rendu pellicule » et retrouvons un « rendu numérique » que nous détestons au plus haut point ! Il va falloir retravailler tout cela !

Décembre 2009 : Nous apprenons la sélection pour le festival de Clermont-Ferrand. Youpi ! Quelle joie ! Dans le même temps, nous passons en labo pour la traduction des dialogues. Nous avons voulu faire une traduction poétique et littérale du bambara pour en rendre la beauté. Cela peut être un peu bizarre à lire, mais il était important de montrer toute la force de cette langue éminemment symbolique et poétique et intrinsèquement respectueuse. La langue bambara montre la beauté du peuple bambara et  la nature de sa pensée en périphrases.

Février 2010 : Après avoir obtenu un prix pour notre premier film, nous obtenons, avec Dounouia, La Vie, le prix Acse au festival de Clermont-Ferrand. Que dire ? C’est fabuleux !
Par contre, la copie visionnée ne nous donne pas du tout satisfaction quant à sa lumière ! Il va falloir retourner en labo.
En même temps que d’être projeté à Clermont-Ferrand, Dounouia est aussi diffusé sur Arte avec une interview de nous. Nous en sommes très heureux, mais pourquoi le journaliste a-t-il tellement tenu à nous faire parler de la question de l’Identité Nationale ? Ce n’est pourtant pas un thème du film !
Pourquoi faudrait-il qu’il y ait des messages dans un film ? Comme le dit Michael Haneke : « Pour les messages, il y a la poste ! ». Un film, c’est une histoire, quelque chose qui arrive à quelqu’un. Les questions que l’on doit se poser sont « Qui est ce personnage ? » et : « Qu’arrive-t-il ? ». Si avec cela on se trouve à faire de la politique, ce n’est que par incidence. Et c’est ce que nous tâchons de faire, évoquer plutôt que déclamer, passer par la bande, en ricochets, plutôt que heurter de manière frontale. Nous n’avons rien à revendiquer, à dénoncer, mais nous voulons seulement montrer les choses telles qu’elles sont pour qu’elles fassent d’elles-mêmes question, pour qu’elles accomplissent leur propre travail de démontage des idées reçues et des pensées « fast-food ».

Mars 2010 : Nous étalonnons de nouveau Dounouia. Ça se passe beaucoup mieux. Le résultat ne sera pas idéal, mais nous sauvons les meubles. Le film est ce qu’il est, il faut assumer nos choix.
Nous considérons que Dounouia est maintenant achevé.

Mai 2010 : Anthony et Nicolas Hervoches, un ami réalisateur, font un dvd où figurent nos deux films, Erémia-Erèmia et Dounouia. Un petit cadeau aux amis, à la famille et aux acteurs, danseurs et techniciens du film.

Une aventure de deux ans vient de s’achever. Nous rêverons encore longtemps de cinéma.

 

   

 

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