Note d'intention

Un conte urbain entre réalisme et poésie

En préambule, je citerais cette phrase de Ken Loach : « Comment inventer des justifications rationnelles à ce qui relève de l’instinct ? »
Outre qu’elle me permet de situer mon récit au stade de l’impulsion, cette référence me place sous la figure d’une réalisatrice qui, comme les grands cinéastes de l’école italienne de l’après-guerre, n’a jamais craint de conjuguer réalisme et poésie.
Se confronter à une réalité sensible, la transposer dans un univers imaginaire ; c’est aussi mon approche. Des métaphores ou des allégories pour montrer la vie dans tous ses états, j’en ai déjà fait le postulat de mes précédents films, tant en documentaire qu’en fiction.
Ainsi, lorsque je choisis des enfants pour héros, je ne cède pas à une mode ou à une quelconque facilité consistant à attendrir le public. Je ne souhaite qu’affirmer mon choix d’un cinéma populaire empreint de poésie ; un conte urbain en quelque sorte.

En voulant partir à la recherche de leur père absent, en imaginant cette quête, Coralie ne désire pas simplement exaucer le vœu de son petit frère, elle veut avant tout l’emmener hors d’un quotidien oppressant, violent. Car la cité, si elle peut être le symbole de l’échange et de la générosité, peut également devenir un lieu d’enfermement – le grillage qui la longe peut être perçu comme une fenêtre sur la ville en même temps qu’une frontière.

Un apprentissage du monde

Toute histoire possède selon moi, ses fondements dans quelque mythe.
Comme Ulysse qui, dans son Odyssée, a pour seul objectif de rentrer au pays, Karim et Coralie se jettent dans l’inconnu avec l’utopie de ramener le père protecteur. « Partir de » et « aller vers », c’est dans ce double mouvement que les deux héros vont vivre une épopée contemporaine à hauteur d’enfants.

S’il s’agit d’un récit initiatique, il est, avant tout, récit de l’apprentissage de l’extérieur, ouverture sur un foisonnement de motifs qui poussent l’œil et l’oreille à s’aiguiser. Chaque rencontre avec les autres va leur permettre de saisir un bout de la complexité de la vie, de sa beauté surtout, et enfin de grandir. La rencontre que fait Karim avec le vieux sage qui perd la mémoire le confrontera à la nécessité du souvenir. Celle de la clocharde qui trouve la « connaissance » dans des poubelles fera goûter la poésie à ces enfants dont la vie en cité est un vide culturel.

Le cheminement de Karim et Coralie est, bien évidemment, intérieur. Coralie qui a une intériorité très forte en début de film, va peu à peu se délester de son rôle de protectrice pour gagner en vulnérabilité, tandis que Karim, le petit frère que l’on protège, va se révéler au fil des évènements, un enfant astucieux.

 

Traitement audiovisuel et sonore

Dans cette quête, ils se nourrissent de leur propre passé. Chaque étape l’éclaire un peu plus, lui ajoute du sens.
C’est dans ce but que je privilégierai les plans séquences, permettant d’évoquer la permanence et d’intégrer le passé dans un flux qui l’accole au présent, afin de ne pas rompre ce lien.
J’ai besoin de cette recherche esthétique de la sobriété : trouver les moyens d’installer la cohérence de mon espace-temps, permettant par la même occasion, de donner le maximum de vie au jeu des comédiens. C’est leur cheminement, et les métamorphoses que celui-ci générera, qui guidera mon tempo. La lenteur et la volonté contemplative des films d’Angélopoulos et de Ford m’ont toujours fascinée ; c’est nourrie de cette école de l’attention que je souhaite filmer.

C’est la même orientation qui déterminera, plus spécifiquement, le rôle du son de ce film.
Chaque moment d’évocation du père se vivra dans un espace vidé de toute scorie auditive (le grillage au petit matin, le balcon en fin de journée, la mer déserte, la ruelle calme du cimetière) afin de mieux sentir les sentiments des enfants.
A contrario, les séquences de découverte du monde verront les sonorités de la ville s’installer naturellement. Parfois, les moments nécessiteront une accélération, voire une exacerbation, en adéquation avec les sentiments qu’ils sollicitent. C’est ainsi qu’une musique originale participera de cette épopée romanesque.
Naturellement, elle culminera dans la dernière séquence où, symboliquement, les enfants parviennent à « ouvrir » la prison (c’est-à-dire à communiquer verbalement avec leur père), par la voix et l’incantation affective, entraînant avec eux d’autres cris d’amour : à cette symphonie humaine de dilater, métaphoriquement, les murs et le champ pour mesurer leur relativité face à l’univers qui les englobe.

Je revendique totalement l’innocence contenue dans cette histoire et espère montrer, dans ce que vivent ces enfants, ce qui est évident et caché en même temps, dans toute sa complexité.

Bania Medjbar

 

 

   

 

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