(petite mise en contexte)

La mondialisation, les voyages, Internet…
Globalisation, mondialisation, internationalisation, que de termes pour rendre compte de l’extrême mobilité de l’être humain au 21e siècle. Certes, ils évoquent parfaitement l’ouverture sur le monde que connaît notre époque, mais il suffirait en fait de s’arrêter à la soirée d’hier, faite d’un film Turc sous-titré en espagnol visionné en mangeant des sushi achetés près du quartier italien, pour prendre conscience que la diversité culturelle et les flux migratoires influencent notre quotidien. Pour l’Occidental libre et riche, les avantages apparaissent bien plus grands que les inconvénients. Le monde nous est offert et il ne reste plus qu’à avoir la témérité de partir avec son sac à dos, l’audace de postuler pour un emploi à l’étranger ou la curiosité de faire un échange étudiant pour découvrir le monde. Parfois même, nul besoin de bouger et c’est le monde qui vient à nous, envoyant dans notre cour celui d’ailleurs qui a aussi eu envie de partir.

Aucun doute qu’en foulant un sol inconnu, pour une longue ou courte durée, on crée l’occasion de tisser des liens avec la communauté qui l’habite. Ces échanges, ces découvertes, laissent des traces inaltérables dans nos vies et nos sociétés. De la transmission d’une recette de pâté chinois à l’établissement de sa vie future dans le pays visité, la facilité de franchir les frontières de notre planète modifie son paysage. Aujourd’hui, l’Organisation Internationale du travail dénombre plus de 120 millions de migrants dans le monde. Les raisons qui les ont poussés à nouer leur baluchon sont nombreuses et diffèrent beaucoup : raisons politiques, économiques, familiales, culturelles… et amoureuses… Trop souvent oublié comme cause d’émigration, l’amour demeure un levier extrêmement puissant pour quitter son pays, sa patrie, sa famille et ses amis (voir Édith Piaf, L’Hymne à l’amourwww.paroles.net/chanson/10001.1,2e couplet, au moment où la première larme nous coule sur la joue).

…Et L’amour !!!!
En effet, il existe très peu de relevés sur l’influence de l’amour dans l’immigration. Étrange, puisqu’il s’agit d’un phénomène universel qui par les choix individuels qu’il induit détient une fonction primordiale au sein de la société en général. Comme par exemple dans le choix du lieu d’établissement. « Qui prend mari, prend pays » n’est certainement pas un dicton qui date du 21e siècle. Mais si le nombre de migrants dans le monde se chiffrait déjà à 65 millions en 1965 ( Égalité sans frontière, Les immigrés ne sont pas une marchandise, Les notes de la fondation copernic, Syllepse, Paris, 2001, P. 20) , il faisait à cette époque davantage référence à des déplacements régionaux, provinciaux. Aujourd’hui, alors que l’on revient de son périple en Inde avec un amoureux australien, le vieil adage atteint tout son sens littéral et illustre parfaitement la hausse de la libre-circulation de l’amour à travers les frontières territoriales. Et si on a toujours du mal à la quantifier, c’est que la cause amoureuse de l’immigration se fond parmi les autres catégories: les réfugiés, les entrepreneurs, les travailleurs qualifiés et surtout les immigrants « parrainés » peuvent tous cacher une histoire d’amour à la base de leur départ. D’ailleurs, pour connaître l’ampleur exacte du phénomène de « l’immigration amoureuse », il faudrait d’abord connaître les causes de départ des 40 millions d’immigrants qui demeurent illégaux dans monde entier (36 000 au Canada seulement) ( Point Chaud, Radio-Canada, 31 janvier 2005) …

L’utilité de l’immigrant
Dans cette foule d’informations vagues, de statistiques incomplètes et limitées par la variabilité du phénomène, connaître et comprendre les tenants et aboutissants des migrations internationales s’avèrent donc très complexes. Pour le simple citoyen, la gestion et les réglementations qui en découlent restent souvent abscons. Il est pourtant impossible de se méprendre sur l’aspect principal du contrôle des frontières: sa vision utilitariste. Car, peu importe sous quel statut ils auront fait leurs demandes, les étrangers qui sont reçus sont d’abord une réponse à un besoin économique du pays d’accueil.

Ainsi, on comprend que les quotas d’immigration que se fixent les pays chaque année fluctuent en regard de l’économie (fermeture des frontières lorsque le taux de chômage est élevé, ouverture lors de baisse démographique, ouverture limitée à des travailleurs des secteurs en demande et même fermeture pour accentuer le nombre d’immigrants illégaux lorsque la demande de travailleurs à bon prix augmente) et non en donnant la priorité à ceux qui ont le plus besoin de quitter leur pays. Les critères de sélection se referment, mais ne sont basés que sur les besoins du pays d’accueil, appuyant la vision de l’étranger comme « un instrument de travail dont la légitimité tient à son utilité pour la machine économique […] et qui n’a guère de valeur en soi. »( Égalité sans frontière, Les immigrés ne sont pas une marchandise, Les notes de la fondation Copernic, Syllepse, Paris, 2001, p. 9) Plus, l’immigration en soi devient une véritable industrie pour l’État. À chaque demande, chaque visa, chaque petit papier, est relié un coût. La machine crée de l’emploi, non seulement pour les fonctionnaires provinciaux et fédéraux, mais pour les avocats, les conseillers juridiques et malheureusement, pour plus d’un entrepreneur malhonnête. Une fois totalisés, les revenus qu’apporte l’immigration à l’État sont loin d’être négligeables ( « 300 M $ sont récupérés auprès des migrants par le biais de divers frais de service ou de taxes », CAMPEAU, François. Les Nouvelles migrations ; un enjeu européen/ La politique canadienne d'immigration, Editions Complexe, Bruxelles, 2002,   p. 97)… et ils ne le sont pas non plus pour l’étranger qui a à y subvenir… On comprend donc qu’être amoureux de quelqu’un, vouloir faire sa vie avec cette personne n’est en rien un argument suffisant à se voir ouvrir les portes du pays de l’élu de son cœur. Cet aspect de la situation migratoire relève bien l’incohérence entre le caractère purement bureaucratique du contrôle de nos frontières et la réalité des échanges humains.

Le deuxième choc
Ainsi, le choc amoureux des doux étrangers est vite remplacé par le choc psychologique (ou devrais-je plutôt dire les chocs psychologiques) qu’engendre le choix de leur union… et qui n’avait pas été calculé… L’adaptation au nouveau milieu et l’apprivoisement d’une culture étrangère sont logiquement prévus par les couples qui s’engagent dans cette voie. Mais trop souvent, la complexité et la lenteur des démarches juridiques et légales qui accompagnent l’établissement (ou même seulement la venue à long terme) en pays étranger sont sous-estimées. Et souvent, le seul blocage à l’insertion sociale et culturelle repose sur le traitement des papiers. Sans eux, le candidat à l’immigration demeure un simple touriste. Peu importe les liens qu’il aura créés, il doit rentrer dans son pays d’origine avant la date de péremption de son visa, dont la durée varie en fonction du pays d’accueil et de l’origine du détenteur. Il peut en tout temps être réfuté ou abrégé par un agent de la douane et ce, de façon tout à fait arbitraire, sur un simple doute que le voyageur ne remplira pas les conditions prescrites. Soumis à ces restrictions, le candidat à l’immigration attend sa réponse. Plus le temps de traitement de la demande s’étire, plus les allers-retours sont fréquents, plus le travail au noir devient une solution qui s’impose, plus la douane devient un exercice de gestion du stress et de fouille en règle… pour ceux qui la passeront…

Pourtant, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies (1949) indique pourtant, en son article 13, que « toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Malheureusement, en omettant l’obligation pour tous les États de laisser l’entrée libre sur leur territoire, ce droit s’en trouve neutralisée. Il en résulte que «le décalage entretenu entre la loi en vigueur et le laxisme politique permet de conforter une image de l’étranger qui n’a aucun droit d’être là, ni à ses yeux ni à ceux de l’opinion. Il est toléré par commodité, comme outil. Et la tolérance peut prendre fin à tout moment, au moindre retournement de conjoncture. » ( Égalité sans frontière, Les immigrés ne sont pas une marchandise, Les notes de la fondation Copernic, Syllepse, Paris, 2001,   p. 49.).

Le candidat est alors projeté dans un calcul de sa valeur humaine reposant sur des critères de sélection pré-déterminés au bénéfice du pays d’accueil. Les avoirs sont un point de départ important, en considérant d’abord les coûts engendrés par une demande d’immigration ( Voir Rapport de recherche, Exemples de coûts de l'immigration, p. 18), puis la possibilité de subsister pendant l’attente des papiers et la recherche d’emploi. D’ailleurs, dans presque tous les cas de demande dans la catégorie des « gens d’affaires », le traitement se fera beaucoup plus rapidement… et en consultant les sommes exigées comme « avoir net » (300 000$ comme entrepreneur et 800 000$ comme investisseur ( Brochure Immigrer au Canada , Citoyenneté et Immigration Canada) ) on comprend qu’il y ait moins de candidats à ce titre… Pour les moins nantis, il reste l’endossement d’un parrain dans le pays d’accueil. Nul doute que celui-ci devra par contre avoir le nécessaire à subvenir à vos besoins ( Voir Rapport de recherche, Exemples de coûts de l'immigration, p.22 ), même à répondre de vos éventuelles dettes, pendant de trois à dix ans. Il y a ensuite le métier exercé : il doit préférablement correspondre à un manque de ressources à l’intérieur du pays hôte. Et s’ensuivent une foule d’autres critères dont l’âge, l’expérience, l’état de santé, le niveau d’éducation… Il y a aussi les accords bilatéraux entre certains pays qui s’ajoutent à ce magasinage de candidats idéaux. Ainsi, il sera plus facile pour un Français que pour un Belge d’immigrer au Québec, simplement grâce aux nombreuses ententes qui unissent les deux pays. Voilà assez pour sentir monter un sentiment d’impuissance devant sa destiné.

Cette analyse superficielle de la « valeur » des candidats représente à elle seule une épreuve dévalorisante et humiliante pour celui qui quitte son pays seulement par amour. Bien nombreux sont ceux qui ne franchiront pas cette étape, qui préfèreront l’affliction d’une peine d’amour à l’adversité du contrôle des frontières. Pourtant, on peut supposer avec raison que, sans ces lois restrictives, ils auraient été nombreux à trouver le bon compromis entre les deux pays : les allers-retours conviennent à beaucoup de gens, les boulots à contrats aussi et le partage des sacrifices est certainement plus doux. Mais si on ne peut pas travailler, si on ne peut rester plus de six mois, si on doit avoir un profil pré-déterminé pour être admis, les choses se compliquent… Le mariage ne représente même plus une solution indéfectible, puisqu’il est sujet à un refus s’il pose des soupçons de non-validité aux autorités ( Voir Rapport de recherche, Quelques cas personnels, p. 31). Il semble davantage une ombre additionnelle à un début de relation amoureuse, conclu sous la pression et provoquant la dépendance administrative d’un des conjoints. N’est-il pas légitime de vouloir se connaître et vivre ensemble quelques temps avant de se marier ?

Ainsi, la volonté peut peut-être déplacer des montagnes, mais elle aura toujours besoin d’arguments matériels supplémentaires pour déplacer des frontières. Que les voyageurs au cœur libre se le tienne pour dit !

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