Quelques questions à Frédéric Pelle : Sur le court en général : Qu'est ce que le court représente pour vous ? Une forme d'expression cinématographique, différente du long, du documentaire, du journal filmé, bref un genre à part entière. Comment appréhendez-vous l'effet « pochette surprise » lié au court ? Contrairement à la majorité des longs métrages dont on peut aisément entendre parler avant de les visionner, quand on se prépare à regarder un court métrage on ne sait pas ce qu'on va voir. J'adore aller au cinéma voir des longs métrages sans savoir quoi que ce soit. Cela arrive encore pour des petits films qui n'ont pas les moyens d'une promotion omniprésente (télévision, presse, radio, internet). J'ai ce même plaisir quand commence un programme de courts métrages dans un festival. On est prêt à être surpris et j'aime cela. Certains peuvent faire des affiches (on peut en voir dans les couloirs de Clermont-Ferrand par exemple). Souvent il s'agit d'une affichette ou d'une « belle photocopie » qui sert d'invitation pour la projection équipe. Quelle est l'espace de présentation du court métrage ? Quels sont les lieux de diffusion ? Principalement les festivals (des centaines dans le monde. Agence du court métrage pour les films français et une diffusion en France, Unifrance pour les films français et une diffusion à l'étranger) L'Agence a mis en place le RADI, catalogue de films courts pouvant être diffusés dans un réseau de salles spéciales. Pour info, « Des morceaux... » et « Le Corbeau » ont été achetés par le RADI en leur temps. La télévision : France 2, France 3, Canal +, Arte, Ciné Cinémas, TPS achètent des courts et les diffusent souvent tard dans la nuit, mais c'est une source de financement très importante, en tout cas un complément intéressant. A ce titre, sous l'impulsion de Canal +, les chaînes vont augmenter leur prix d'achat de façon significative cette année. A suivre...
La temporalité des films : Qu'est-ce qui fonde selon vous le traitement du temps court dans le récit ? Comment travaillez-vous le rythme de votre récit par rapport à celui du texte ? Je ne peux m'exprimer que sur mon travail. En ce qui me concerne, j'ai été séduit par les nouvelles de Stephen Dixon en partie car il avait une façon très directe de faire entrer le lecteur dans un récit. On a à peine commencé à lire que l'on est parfois déjà au coeur de la problématique du personnage principal. C'est vrai pour « Des morceaux... », « Le Vigile » entre autres. Une situation donnée, le temps réel ou presque étaient des axes forts de mes 2 premiers courts « Des morceaux... » et « Le Corbeau », qui sont des courts types : 10 minutes, un sujet et non pas une anecdote avec une chute finale, des personnages qui existent vite à l'écran (par ce qu'ils font, ce qui les anime ...). Les autres courts étaient déjà conçus en fonction de l'idée qu'ils ne seraient pas tous seuls mais qu'ils répondraient à d'autres.
Le rythme par rapport au texte : Plus c'est court plus cela doit être dense. Par rapport au texte, je dirais que je garde ce qui me plaît et que je jette le reste et j'obtiens un nouveau texte qui est ma base de travail. Je suis peu (comme Dixon) dans la description, la contemplation ou le décoratif. Pour reprendre une phrase de Georges Franju parlant de je ne sais plus quel cinéaste, il disait : « rien ne se voit mais tout se comprend », ce qui veut dire, et je le reprends à mon compte, que ce cinéaste n'est pas dans le descriptif ou le décoratif de façon ostentatoire puis dans l'action, mais que l'on est tout de suite dans l'action (et dans ce qui meut les personnages) que l'on comprend dans un cadre, son contexte. Ce petit détour pour dire que mes courts sont je crois assez denses, qu'il y a peu ou pas de temps d'exposition et que les situations s'enchaînent, souvent de façon elliptiques. C'est ce qui donne leur rythme. Quel est le rôle du montage dans cette question ? Justement on en parlait. C'est l'ellipse qui nous permet d'avancer dans le récit en se disant que le spectateur comblera le « trou » de récit à sa guise (il participe), c'est le temps un peu long que l'on choisit de prendre sur un visage par exemple, un silence. C'est l'agencement des plans qui donne le rythme. J'y passe beaucoup de temps. Je fais toujours le premier montage seul, mon monteur venant pour « raccourcir », aller à l'essentiel, sans la « complaisance naturelle » du réalisateur.
Sur l'adaptation : Existe-t-il des droits d'auteur pour adapter les textes de S. Dixon ? Oui et c'est bien normal ! Qu'est ce que c'est pour vous adapter ? Quelle marge de liberté créatrice ce processus vous offre-t-il ? Pourquoi l'adaptation ? Cela part d'un plaisir de lecteur à l'époque où je faisais plutôt des documentaires, en 1997 je crois. Trois ans après, une fois que j'ai eu l'idée de prendre Gilberto Azevedo pour jouer le rôle du veuf de « Des morceaux...», j'ai imprimé ma patte sur son histoire et cela m'a totalement débloqué par rapport à la question de la fidélité. Je ne me voyais pas faire mieux que ce qu'avait écrit Dixon, et ce pendant deux à trois ans et puis ce choix d'acteur a induit des changements dans la personnalité du personnage et puis par ricochets des autres personnages et du récit lui même. Il faut donc s'approprier le texte, non pas le texte mais l'histoire, le sujet. Son traitement doit être personnel. Mes six courts sont très personnels dans ce qu'ils racontent. Je les ai choisis tous à un moment donné de ma vie ou ils abordaient un sujet qui me concernait directement. La liberté doit être totale, en ce qui me concerne, dans le plus grand respect de l'auteur c'est tout à fait compatible. Le film « Le caissier » est adapté directement de la nouvelle en anglais « The Tellers », sans passer par la transposition de la traduction, le travail d'adaptation a-t-il été différent des autres films qui sont issus d'un texte en langue française ? Plus difficile car j'en ai fait la traduction moi-même. C'est celui qui a été le plus modifié par rapport au texte.
Le réseau des personnages : Est-ce une volonté dès le départ de créer ce réseau ? À la suite du premier « Des morceaux... », l'idée est née de faire un film en six parties, comme un recueil de nouvelles. Au départ il devait y avoir Gomez et le vieux Giberto, six histoires autour d'eux, de leur relation. Gomez apparaît dans « Le Corbeau », Giberto dans « Le Vigile » et puis il est décédé alors que l'on préparait « Lune ». Au sujet du personnage joué par Nicolas Abraham : son identité reste énigmatique, et l'on ressent « Le Caissier », comme le film charnière sur cette question de l'identité de François Gomez, dans ce film il annonce clairement « Je m'appelle François Gomez ». Comment avez-vous créé ce personnage, comment a-t-il mûri au fil des films, comment ressentez-vous son identité ? Ce personnage existe chez Dixon, de façon récurrente même s'il n'est pas donné comme étant le même personnage, il se cache dans ses histoires, à différents âges. Il doit être un cousin proche de Dixon lui-même qui s'inspire beaucoup de sa vie dans ses textes. C'est en lisant « Le Vigile » que je me suis rendu compte que le personnage du vigile de « Des morceaux » lui était proche. Et pourtant il s'agit d'une adaptation du personnage de Dixon qui m'était bien différent, plus impersonnel, administratif, moins impliqué émotionnellement que mon Gomez ! Sa personnalité n'est pas très « à la mode » dans un monde individualiste mais il me semble être juste. J'ai beaucoup d'affection pour ce personnage, que je connais bien on va dire. La création onomastique semble fondatrice de l'unité et de l'univers de vos films : certains personnages portent le nom de l'acteur qui les incarne (Dans « Le Vigile » la voix de Maud Baignères, dans « Le Caissier » Jean-Jacques le personnage de Jean-Jacques Velicitat) dans « Chambre 616 », Maamar Kebali ou bien Marie ont les mêmes noms au générique et l'on ressent au visionnement un côté un peu documentaire, un peu portrait d'un lieu quotidien, comme si l'un été réellement patron du bar et l'autre une habituée. A partir du film « Le Vigile », le générique associe les noms des acteurs aux noms des personnages, pourquoi ce changement ? Parfois il existe un degré d'information différent entre le générique et le film, par exemple dans « Chambre 616 », le générique précise le nom du personnage joué par Laurent Bateau, Fred, alors qu'il n'est pas nommé dans le film à proprement parlé. Pour les noms de Marie et Maamar dans « Chambre 616 », c'est effectivement le patron du bar et une cliente qui était là ce jour là et qui était trop belle pour passer à côté. Elle ne voulait pas apparaître, elle se trouvait laide. Elle est partie et est revenue « pomponnée » une demi-heure plus tard. C'est un cadeau qu'elle m'a fait, qu'elle s'est fait aussi. Elle a passé un bon moment de chaleur humaine et en avait besoin. Le patron c'est le patron, les policiers dans la chambre c'est mon assistant et le décorateur, la femme de chambre c'est ma costumière attitrée... J'adore faire jouer des non comédiens quand ils sont près du personnage. On est alors plus près de la vie et plus loin de l'interprétation et c'est tant mieux. Pour les noms, je m'amuse beaucoup à utiliser des noms d'amis. Faire des films est avant tout une expérience humaine très forte, pour tous les participants. Le tournage est de loin ce que je préfère dans le processus de fabrication. Chaque année depuis six ans nous nous sommes retrouvés avec quasiment la même équipe pour faire une semaine de tournage environ en décembre ou janvier. Pour moi, c'était un rituel comme des vacances de famille, et pour d'autres aussi. Et si ça n'était que ça, une occasion de réunir des amis et de partager des émotions en essayant de raconter sincèrement quelque chose qui nous touche, et bien ce serait déjà très bien.
Entretien réalisé par Emilie Barnola, IUFM de Clermont-Ferrand
|
|