Journal rétrospectif de La République

Automne / Hiver 2005 : The West Wing

En 2005, j’avais un peu plus de 30 ans et n’avais toujours réalisé aucun film. J’avais écrit au cours de l’année deux moyens métrages plus ou moins autobiographiques (En cas de tempête le parc sera fermé et Le complot de Julien Mahon) et comme chaque année, je m’apprêtais à passer mon été à Paris ; j’avais pour ambition d’écrire un court métrage policier, ayant été très impressionné à l’époque par The New Centurion de Richard Fleischer.

 

Or, je n’ai jamais commencé ce scénario car, pendant l’été 2005, France 2 diffusa la deuxième saison de la série À la maison blanche (The West Wing) quatre ans après avoir programmé, dans l’indifférence quasi générale, la première saison. Il faut dire qu’au début des années 2000, on ne vendait pas encore des saisons entières de séries américaines à la Fnac et rares étaient les internautes qui téléchargeaient dès le lendemain de leurs diffusions américaines les épisodes de leurs séries favorites. Le succès dut être au rendez-vous puisque, dès la rentrée 2005, la toute nouvelle chaîne France 4 diffusait deux fois par semaines les épisodes de la première saison. Mon emploi du temps se simplifia alors à l’extrême et je passai une bonne partie des mois de septembre et octobre 2005 à regarder six épisodes par semaine d’À la maison blanche – cela me semblait beaucoup à l’époque mais dès le mois de novembre je passais à trois ou quatre épisodes par jour et engloutis en dvd les saisons 3, 4 et 5 en quelques semaines.

 

Cette expérience n’a rien d’exceptionnel et je pense que beaucoup de cinéphiles, au cours de ces années-là, commencèrent à avoir cette nouvelle habitude. Toujours est-il que je ne peux séparer l’envie de réaliser La République de cette première expérience de visionnage marathon d’une série américaine des années 2000. Car, évidemment, cette pratique provoque un manque quand le nombre d’épisodes est épuisé et, dans une sorte de désir infantile de continuer la série, j’écris sur mon carnet du mois de novembre 2005 :

« Projet Le député de… »
- Le film se passe dans des hôtels de province, des zones industrielles, dans des parkings, etc.
- Fin à l’entrée du parc des expositions
- En gros, le héros trahit son camp en passant une alliance avec l’autre partie du parti / il peut y en avoir plus que deux.

Si je suis honnête, mon envie première était de faire, moi aussi, une fiction avec des personnages habillés en costume et qui parleraient à toute vitesse de leur métier : la politique. Je n’avais ni message, ni récit, ni personnage, simplement des images d’hommes politiques marchant et parlant dans des décors provinciaux anonymes.

Mais il fallait, malgré tout, raconter une histoire. Je pensai tout d’abord à une intrigue très provinciale dans laquelle un jeune homme trahissait son mentor pour devenir député à sa place. Mais cette histoire me semblait manquer d’ampleur et très vite, je pensais à l’idée de la mort accidentelle d’un président et d’une élection anticipée, plus excitante à écrire. Il faut dire qu’en débutant ce scénario, j’étais tellement persuadé que je ne pourrais jamais faire ce film qu’aucune contrainte de production ne me venait à l’esprit : j’écrirai simplement le scénario qui m’intéresserait le plus.

Dès novembre, le personnage principal a un nom : François Darcy (François parce que c’est aussi un film sur la France et Darcy à cause du Député d’Arcy de Balzac) et je peux lire dans mon carnet de l’époque :

Début du film :
- FD entre dans sa chambre d’hôtel au petit matin
- FD retrouve Dorothée
- Petit-déjeuner Dorothée / Eléphant du parti / industriel de la région qui va soutenir Dorothée pour l’investiture

Une semaine plus tard :

- Le président est malade ou sur le point de mourir. Il meurt à la fin du film.
- Enjeux : Désignation du candidat, désignation des ministres, désignation des investisseurs.
- Personnage de journaliste politique

À la fin du mois de décembre :

- Le président a eu un accident. Il va mourir à coup sûr.
- Une université d’été devient accidentellement le théâtre de la désignation :
1. du président
2. des investitures aux législatives
- Manipulation pour désigner un candidat qui ne peut pas gagner.
- Alliance progressive pour arriver à ce résultat entre trois jeunes de 30 / 40 ans.
- Vengeance terrible d’un homme de 60 ans ?

 

Début 2006 : V1

Puis je me mis à l’écriture proprement dite et début 2006, je parvenais à une première version en deux ou trois semaines. Très rapidement, je décidai qu’on ne parlerait jamais de politique mais uniquement de stratégie, qu’on ne saurait jamais si le parti dont parle le film est de droite ou de gauche, enfin qu’on ne verrait jamais deux fois le même décor pour accentuer le caractère déraciné des personnages. À la fin de l’écriture de cette première version je décidais d’appeler mon projet La République, titre neutre, ironique si l’on voulait et qui allait, à mes yeux, harmonieusement avec l’envie que j’avais de filmer des décors ingrats, impersonnels : je souhaitais ainsi montrer la République sous un jour terne, quotidien, loin des ors de ses palais.

J’ouvre ici une parenthèse. Cela faisait plusieurs années que j’écrivais des scénarios qui ne trouvaient pas de financement et je me heurtais au problème théorique suivant : pour financer un court métrage, il faut l’argent d’une région, or je ne connaissais bien que Paris et Paris ne finançait pas, à l’époque, de courts métrages. La République était une bonne solution puisque je pourrais tourner en région (et dans n’importe quelle région puisque la ville des universités d’été de mon parti imaginaire pouvait être n’importe quelle ville) mais mes personnages seraient tous des Parisiens venant travailler en province – un peu comme l’équipe d’un film, des techniciens et des acteurs parisiens qui viennent envahir une ville de province qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne visiteront jamais. Je trouvais d’ailleurs intéressant que cette ville soit abstraite, sans importance puisque la République du film est elle-même abstraite, presque un espace mental.

 

Très excité par mon projet, j’écris assez rapidement une deuxième version, censée être définitive. Pour l’occasion, je revois des films que j’ai aimés et qui peuvent m’inspirer pour mon nouveau projet : l’immense Tempête à Washington (Advise and Consent) de Otto Preminger, le méconnu Path to War (Les Chemins de la guerre), le dernier et sans doute meilleur film de John Frankenheimer dont je revois également Sept jours en mai (Seven days in May), une politique-fiction avec Kirk Douglas et Burt Lancaster racontant un coup d’état militaire aux États-Unis dans les années 60. Je revois également les fictions paranoïaques américaines des années 70 qui me déçoivent à peu près toutes à l’exception de The Conversation (Conversation secrète) de Francis Ford Coppola. Je ne revois aucun film français, à l’exception de deux films d’Eric Rohmer, L’arbre, le maire et la médiathèque et Triple agent qui est sans doute la plus grande influence du film, mon ambition étant également de faire un film au dialogue abondant mais dans lequel l’intrigue principale se passerait le plus souvent hors champ. Je voulais aussi que les personnages du film donnent l’impression de tout contrôler alors que les forces en présence évoluent secrètement et qu’ils sont en réalité des pions qui ne peuvent rien décider mais, au mieux, essayer de survivre au milieu d’un terrain hostile.

 

Je pense évidemment beaucoup à Rohmer pendant la rédaction de mon scénario (et finalement plus du tout à la série À la maison blanche) qui est, à mes yeux, le plus grand cinéaste français de l’après-guerre. Aussi, en écrivant les dialogues du film je pense immédiatement à Alain Libolt (que j’avais adoré dans Conte d’automne et à Gwénaëlle Simon (à jamais la sublime fille du corsaire du Conte d’été), respectivement pour les rôles de Roger et Dorothée. J’écris ainsi les dialogues de leurs personnages en pensant à eux et j’ai leurs voix en tête, à chaque fois que je me relis. A la fin de l’écriture du scénario, je n’ai pourtant toujours aucune idée quant à l’acteur à qui j’aimerais confier le rôle de François Darcy. Heureusement, fin février, je vais voir (un peu jalousement, puisque c’est un film français sur le milieu de la politique) L’Ivresse du pouvoir de Claude Chabrol et trouve Thomas Chabrol proprement prodigieux dans le rôle de Félix, le beau-frère d’Isabelle Huppert. Très vite, donc, le trio de comédiens est trouvé. Le scénario est achevé, reste à trouver un producteur, un financement et à attendre que le projet se monte, comme on dit.

 

 

 

 
 
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