Note d'intention

La République, qui raconte la désignation d’un candidat à une élection présidentielle anticipée fictive, n’est pas à proprement parlé un film politique. Pas de discussion sur la cité ici, pas de dénonciation de pratiques illégales, ni de démarche satirique, plutôt l’envie de décrire le plus objectivement possible la pratique d’un métier comme un autre – celle d’homme politique – dans une situation donnée, avec ses règles, ses codes, son vocabulaire.

Je me suis ainsi donné plusieurs règles : tout d’abord, nous ne saurons jamais si les membres du parti de gouvernement que nous voyons sont de droite ou de gauche. Logiquement, les programmes, propositions, positionnements politiques sur un sujet ou un autre ne sont jamais entendus. Enfin, je me suis contraint à une unité de temps (une matinée) pour dramatiser au maximum les événements de La République tout en les gardant vraisemblables. Cela étant, le soucis de vraisemblance ne transformera pas le film en œuvre à clés. Les personnages sont réellement fictifs et, même si un ou deux événements peuvent faire penser à des situations connues, mon but est de créer une fiction où le spectateur se libérera des références qui sont les siennes. Tout sera fait pour que l’on ait l’impression de voir des hommes politiques dans ce type de situations pour la première fois dans un film de ce format, mon but est que le spectateur ait l’impression que la pratique politique ressemble à ce que voit sur l’écran, en oubliant ses propres souvenirs d’anecdotes politiques.

L’autre objet du film est de rendre des tractations entre courants, des calculs politiciens aussi intéressants et finalement aussi romanesques que les événements d’un film policier ou d’un roman d’aventure. J’ai ainsi tenu à ce que le récit de La République soit fait de rebondissements, de changements d’alliance, de retournements de situation. La République a quelque chose d’un film policier ou d’espionnage et si je devais donner une influence dans le cinéma français récent, je choisirais le récent Triple Agent de Eric Rohmer dans lequel un récit d’espionnage se trame, souvent hors champ, et dans lequel des personnages très actifs se débattent dans une situation dont on ne sait jamais vraiment s’ils la contrôlent ou non.

Bien évidemment, le dialogue a une importance primordiale dans La République. Plus que des hommes d’action, les personnages du film sont des hommes et des femmes de la parole. La parole les caractérise (Roger est plus grandiloquent que les autres, parfois un peu pompeux, Dorothée est plus sanguine, François plus drôle, plus séducteur), mais elle est aussi leur mode d’action. J’ai voulu décliner la parole dans tous les registres possibles : discussions au téléphone ou de visu, dialogues intimes et amicaux ou hostiles, échanges à deux, à trois, réunions professionnelles avec une multitude de participants, discussions longues ou très courtes, etc. Enfin, une bonne partie du film se déroule hors champ, et cette ligne narrative n’est pas réellement maîtrisée par les personnages du film – ils ne peuvent la commenter, la reconstituer que par le dialogue. Au pire, ils la subissent, au mieux, tentent de s’en servir en aveugle. On ne décryptera jamais, comme les personnages du film, les tractations du camp adverse, encore moins les manipulations devinées qui viennent d’on ne sait où, en tout cas hors du champ du politique, on ne saura même pas son ampleur. On pourrait presque dire qu’une bonne partie des personnages de La République parle d’un film dont ils n’ont qu’une vague idée, sur lequel ils émettent des hypothèses, mais qui leur semble primordial dans le déroulement de leur propre récit. La parole n’est donc pas pléonastique, on ne parle jamais de ce qui se passe à l’image, toujours de ce qui pourrait éventuellement se dérouler, ailleurs dans un récit que l’on ne fait que deviner ou entrevoir.

Plastiquement, je veux m’éloigner le plus possible du style « reportage » et de l’image officielle que donne les reportages télévisés du monde politique. La caméra sera souvent fixe, avec quelques mouvements d’appareil qui suivront les déplacements des personnages. Je ne cherche pas à faire un « faux documentaire », mais bien de tirer d’un grand réalisme une matière romanesque ; il ne s’agit pas d’accumuler des bribes de dialogues, des plans courts faits de détails significatifs mais de laisser se déployer un récit et des personnages sur toute la longueur d’un plan ou d’une scène. L’idée, aussi, est d’éloigner les hommes politiques des ors des palais républicains et de les plonger dans la France des zones industrielles, des palais des congrès anonymes et des hôtels de province. Tout d’abord, cette France est véritablement celle du quotidien de la majorité des hommes politiques – celle des congrès, des universités d’été, des week-ends dans les circonscriptions. Ensuite, il me semble intéressant de montrer le décalage entre une caste plutôt parisienne (celle des présidentiables et leurs entourages) et une province dans laquelle ils doivent apparaître presque comme des intrus.

Il s’agit bien évidemment également (et même surtout) de montrer des hommes et des femmes politiques de chair et de sang, de les montrer hors des plateaux de télévision, hors des réunions publiques, bref de les humaniser en montrant leurs doutes, leurs faiblesses, mais en observant aussi leur courage ou leur audace. Il s’agit de montrer la vie quotidienne de la classe politique et de la filmer au présent – chose que, finalement le cinéma français a peu fait (préférant presque systématiquement la satire ou le portrait historique). Je veux fuir le plus possible la caricature et rendre mes personnages aimables. J’ai tenu à ce que chacun ait ses raisons, ses objectifs, que nous connaissions un peu leurs vies privés, que nous devinions leurs anciennes amours, leurs attachements à certains ou leurs aversions pour d’autres. Plus que le récit, ce sont les personnages qui sont au premier plan du film, je tiens à travailler très précisément sur leurs costumes, leurs dictions, leurs gestes, sur les détails qui les feront exister.

Les acteurs du film n’oublieront pas qu’ils ne jouent pas des figures abstraites, des têtes souriantes sur des affiches de campagne, mais bien des êtres (souvent plein de défauts) auxquels le spectateur doit finir par s’attacher. Toute la direction d’acteur sera tendue vers cet objectif : que nous sentions toujours où en sont les relations affectives entre les personnages, comment chacun réagit dans sa chair à une situation extrême en ce qui concerne ses enjeux et intense pour ce qui touche à sa durée.

Mon but, finalement, est de filmer des hommes politiques au travail le plus scrupuleusement du monde sans parler une seule fois de politique. Il s’agit de dépeindre le plus précisément comment fonctionne l’appareil politique d’une république donnée à un moment de son histoire. Evidemment, les hommes politiques ne sont qu’une partie de la réalité politique d’un pays, mais ce serait à mes yeux une erreur que de penser que leurs jeux sont vains. Ces femmes et ces hommes témoignent mieux que quiconque de la fatigue ou de la vigueur d’un système, de l’état d’une caste qui, pas moins que les ouvriers, les bourgeois, les artistes, ou encore les bandits, est un des maillons majeurs d’une société. Je veux qu’on les perçoive sans beaucoup de scrupules, pas très intéressés par les idées qu’ils défendent avec des pouvoirs incertains, mais parfois courageux, souvent drôles, intellectuellement vifs et, quelques uns, malgré tout, attachés envers et contre tout à quelques valeurs. J’aimerais qu’à côté de portraits souvent justes de beaucoup de classes sociales dans le cinéma français, on rende en quelque sorte justice à ces hommes et à ces femmes en les plaçant, pour une fois, au cœur de la fiction.

En ce sens, La République est sans doute un film politique.

 

   

 

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