Les sources et inspirations littéraires

Outre la nouvelle de Pascal Quignard « Le nom sur le bout de la langue » (Folio n° 2698), d'autres textes ont nourri le projet du film :

Un conte dogon

" Le merveilleux ", de Jacques Le Goff

" De quoi Sarkozy est-il le nom ? " d'Alain Badiou

 

 

Conte Dogon

Le jour venu, à la lumière du soleil, le septième génie expectora quatre-vingts fils de coton qu’il répartit entre ses dents supérieures utilisées comme celles d’un peigne de métier à tisser. Il fit de même avec les dents inférieures pour constituer le plan des fils pairs. En ouvrant et refermant les mâchoires, le génie imprimait à la chaîne les mouvements que lui imposent les lices du métier.

Tandis que les fils se croisaient et se décroisaient, les deux points de la langue-fourche du génie poussaient alternativement le fil de la trame.

Le génie parlait. Il octroyait son verbe au travers d’une technique, afin qu’elle fût à la portée des hommes. Il montrait ainsi l’identité des gestes matériels et des forces spirituelles, ou plutôt la nécessité de leur coopération.

Le génie déclamait et ses paroles étaient tissées dans les fils. Elles étaient le tissu lui-même et le tissu était le verbe. Et c’est pourquoi « étoffe » se dit soy, ce qui signifie aussi : « C’est la parole ».

 

" Le merveilleux " – Jacques LE GOFF, Un autre Moye âge, Quarto Gallimard

« Il y a aussi le problème de l’étymologie. Avec les mirabilia, on rencontre au départ une racine mir (miror, mirari) qui implique quelque chose de visuel. Il s’agit d’un regard. Les mirabilia ne se cantonnent pas à des choses que l’homme admire des yeux, devant lesquelles on écarquille les yeux, mais à l’origine il y a cette référence à l’œil qui me paraît importante, parce que tout un imaginaire peut s’organiser autour de cet appel à un sens, celui de la vision, et d’une série d’images et de métaphores visuelles. »

« Le surnaturel, le miraculeux, qui sont le propre du christianisme me semblent différents de nature et de fonction du merveilleux même s’ils ont marqué de leur empreinte ce merveilleux chrétien. Le merveilleux, donc, dans le christianisme, me paraît essentiellement renfermé dans ces héritages, dont nous rencontrons des éléments « merveilleux » dans les croyances, dans les textes, dans l’hagiographie. Dans la littérature presque toujours, c’est un merveilleux aux racines pré-chrétiennes. »

« Dans l’Occident médiéval les mirabilia ont eu tendance à s’organiser en une sorte d’univers à l’envers. Les principaux thèmes en sont : l’abondance alimentaire, la nudité, la liberté sexuelle, l’oisiveté. Face à quelques-uns des grands mots d’ordre et des grandes forces mentales de ce monde, ce n’est pas un hasard si, dans le domaine justement du folklore et du merveilleux, l’une des rares créations de l’Occident médiéval, c’est le thème du pays de Cocagne (…) »

« Il y a une déshumanisation de l’univers qui va vers un univers animal, vers un univers de monstres ou de bêtes, vers un univers minéralogique, vers un univers végétal. Il y a une sorte de refus de l’humanisme, un de des grands mots d’ordre du christianisme médiéval, fondé sur l’homme fait à l’image de Dieu. Face à l’humanisme qu’on a appelé chrétien, ou, selon les époques, carolingien, roman, gothique, face à un humanisme qui s’appuie sur l’exploitation croissante de d’une vision anthropomorphe de Dieu, il y a eu, autour du merveilleux, une certaine forme de résistance culturelle. »

« Les apparitions du merveilleux se produisent souvent sans couture avec la réalité quotidienne mais surgissent au milieu d’elle (ce que retrouvera parfois le fantastique romantique ou le surréalisme moderne). S’il y a toujours le mouvement d’admiration des yeux qui s’écarquillent, la pupille se dilate de moins en moins et ce merveilleux, tout en conservant son caractère vécu d’invisibilité, ne paraît pas particulièrement extraordinaire. »

 

Détail de la tapisserie de Bayeux

 

 

Extrait du livre d’Alain Badiou « De quoi Sarkozy est-il le nom ? », Circonstances 4, nouvelles éditions lignes, 2007

Point 4 . L’amour doit être réinventé (point dit «de Rimbaud »), mais aussi tout simplement défendu.

L’amour, procédure de vérité portant sur le Deux comme tel, sur la différence en tant que différence, est menacé de toutes parts. Il est menacé sur sa gauche, si je puis dire, par le libertinage, qui le réduit aux variations sur le thème du sexe, et sur sa droite, par la conception libérale, qui le subordonne au contrat. (…).
On soutiendra, contre cette vision des choses, que l’amour commence au-delà du désir et de la demande, que cependant il enveloppe. Il est examen du monde du point de vue du Deux, en sorte que l’individu n’est aucunement son territoire. (…)
L’amour est violent, irresponsable et créateur. Sa durée est irréductible à celle des satisfactions privées. Il crée une pensée neuve, dont le contenu unifié porte sur la disjonction et ses conséquences. Tenir le point de l’amour est grandement éducatif sur la mutilation qu’impose à l’existence humaine la prétendue souveraineté de l’individu. L’amour enseigne en effet que l’individu comme tel n’est que vacuité et insignifiance. A soi seul, cet enseignement mérite de considérer l’amour comme une noble et difficile cause des temps contemporains.

Ambiance sonore : Marie-Clotilde Chéry

 

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