Colbrune et Bjorn – Note de la réalisatrice

Origines

La lecture, adolescente, de la nouvelle « Le nom sur le bout de la langue », avait laissé en moi des images à la fois nettes et vivantes, sensibles, loin d’être figées comme des photographies ou des tableaux. Ce n’est que des années plus tard qu’il est devenu évident que je voulais en faire un film.

Pour écrire le scénario de « Colbrune et Bjorn », j’ai décidé de me réapproprier ce conte en racontant l’alchimie d’une histoire d’amour intemporelle, bien que les péripéties en soient un peu particulières. J’ai aussi modifié l’histoire originale en créant le personnage de la femme de Heidebic, puisque pour moi les démons devaient agiter et troubler les sentiments du jeune homme aussi bien ceux que de la jeune femme. La deuxième partie du récit s’en est donc trouvée profondément modifiée.

Au bout de quelques mois de travail, j’ai envoyé le scénario à Pascal Quignard, que j’ai eu la chance de rencontrer pour parler du film. Loin de me reprocher les entorses que j’avais fait subir à la nouvelle, il s’est montré très enthousiaste et m’a encouragée à faire mienne cette histoire. Par la suite je me suis attachée à écrire de nouveaux dialogues qui s’éloignaient du livre, tout en conservant pour certains passages de la voix off quelques phrases qui sont pour moi indissociables du film puisqu’elles sont le déclencheur de mon désir.

Temps

Faire un film « médiéval » est pour moi un défi d’inventivité et de simplicité à la fois. C’est aussi une manière de satisfaire la curiosité qui m’habite vis à vis de cette époque mystérieuse qui pour moi a toujours représenté le temps des contes. Mais bien que documentée, l’écriture du scénario ne vise pas la reconstitution historique. La profusion de détails, quand elle a lieu, vise plutôt à nourrir mon imaginaire, celui des acteurs ou de l’équipe, pour bouleverser au tournage les précisions du script.

Le choix d’une époque est une contrainte qui permet des libertés : au moyen-âge, les êtres surnaturels tels que Heidebic et sa femme s’intègrent sans peine au quotidien. Le merveilleux devient tout naturel. Et avec le mode du conte, maintenir le spectateur en haleine est une priorité. Pour qu’il se sente comme l’enfant qui écoute le conteur et demande sans cesse « et après ? », la réalisation sera un terrain d’expérimentations au service de l’action, pas un terrain de jeux.

Quant au changement de point de vue qui intervient à mi-chemin de récit, il m’apparaît nécessaire malgré la courte durée du film. Pour que l’amour de Colbrune et Bjorn apparaisse comme un contrat partagé, il fallait que l’on suive tour à tour ses errements à elle, puis son trajet à lui.

 

Eloge de l’imperfection

Aimer, ce n’est ni traverser la rue pour déclarer sa flamme, ni épouser celle qui satisfait à l’idée préalable que l’on s’était fixée. L’histoire de Colbrune et Bjorn, avec sa fin heureuse, se construit sur des faiblesses humaines qui les feront pourtant triompher des intrigues menées par le couple surnaturel. Le pivot de la fable est le défaut : l’impossibilité de produire une parfaite copie, le mensonge et les compromis, la beauté fragile des tâches quotidiennes et des gestes triviaux de l’amour.

Dans la réalisation du film, il est donc impératif de fuir tout ce qui pourrait « faire joli ». Les coïncidences heureuses du script laisseront place à ce qui se jouera au moment du tournage – par exemple les « deux maisons qui se font face » deviendront deux bâtiments voisins, familiers mais pas nécessairement identiques, au gré du travail de repérages. Je préférerai toujours un long plan « entaché » d’imperfections techniques mais chargé de sens à un découpage qui abandonne au montage le soin de donner du rythme au film. La musique sera absente, exceptée la chanson polissonne fredonnée par Colbrune et ses compagnes lors de la scène du bain.

Pour incarner les personnages de Colbrune et Bjorn, je souhaite faire appel à des comédiens peu expérimentés, qui évitent plus facilement les pièges d’un phrasé théâtral pour des dialogues parfois littéraires. En revanche Heidebic et sa femme seront joués par des acteurs confirmés – une possibilité qui donnerait aux personnages des « démons » une plus grande profondeur pour moi puisqu’un acteur « connu » de cinéma est déjà un fantôme, un monstre.

Le film va continuer de prendre forme en fonction des lieux du tournage qu’il me reste à découvrir et à photographier pour mieux les apprivoiser, ou encore des acteurs, de leurs corps, de leurs voix… Mais je suis certaine d’avoir désormais apprivoisé le conte et impatiente de pouvoir enfin le filmer à ma manière pour faire partager au spectateur les amours tortueuses d’une brodeuse et d’un tailleur - au Moyen âge, ou dans ce temps incertain des désirs adolescents qui se transforment imperceptiblement en notre vie d’adulte.

Ambiance sonore : Marie-Clotilde Chéry

 

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