Premier document de présentation du projet au commanditaire de la série "Portrait" chez Arte.

 

Ensuite, ils ont vieilli

un projet de S.Louis


 

SYNOPSIS

" Ensuite, ils ont vieilli ", dessine le portait de quelques très vieilles personnes.

Pendant l'après-midi dans la salle de repos d'une maison de retraite, quelques vieillards s'endorment, se déplacent lentement, échangent quelques mots sans suite. De temps à autre, certains d'entre eux récitent des monologues de Shakespeare, extraits de pièce autour des thèmes de l'amour et de la jeunesse.

Le film alterne des plans documentaires et des plans mis en scène.

C'est une évocation du crépuscule de la vie.


NOTES D'INTENTIONS

Dans un film, je trouve souvent que les personnages se révèlent plus dans l'inaction que dans l'action. L orsque je filme quelqu'un en action, j'ai souvent l'impression que son activité le dissimule à la caméra. Lorsqu'il ne fait plus rien, il se révèle beaucoup plus clairement.

C'est pourquoi j'ai une prédilection pour filmer des gens en situation d'abandon, d'attente, d'ennui... Lorsque la vie se ralentit, ce qu'elle raconte m'intéresse plus que le fourmillement du monde.

Pour cela, entre autres, je désire depuis longtemps faire un film avec des vieilles personnes, du quatrième âge. Les vieux, me semble-t-il, nous racontent beaucoup sur notre condition d'hommes.

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Dans les maisons de retraites ou centres de gériatrie, il y a toujours une sorte de véranda, de solarium, de "salle de repos" : un espace donnant sur un parc, ou une belle vue (ou pas de vue du tout). Un lieu de désoeuvrement, où les vieux sont amenés pour ne rien faire, laissés là pour quelques heures. C'est là que beaucoup font leur sieste, c'est aussi l'un des seuls lieux d'échange entre "pensionnaires" (hormis le réfectoire aux heures de repas), c'est souvent aussi le lieu qui sert d'interface avec le monde extérieur, le sas où les visiteurs viennent récupérer un de leur proche pour une sortie...

C'est un lieu où l'on parle bas, où tout évolue sans cesse, mais au ralenti. C'est un lieu qui vit au rythme lent de la vieillesse.

Cette salle de repos m'a toujours semblé un lieu particulièrement symptomatique de la façon dont vivent les vieux, et surtout de la façon dont on les fait vivre. En cela, elle me semble particulièrement appropriée pour réaliser un portrait.

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Je voudrais éviter l'écueil du film mortifère. C'est pourquoi "Ensuite, ils ont vieilli" , alterne la captation documentaire et la récitation de monologues shakespeariens. Le film superpose à la perception première d'une vieillesse au bord de la sénilité, un aspect fictionnel plus inattendu, qui donne de l'ampleur aux situations, et un statut de personnages aux personnes filmées.

Les quelques vieillards qui diront les trois-quatre monologues seront de réels pensionnaires de maison de retraite, choisis en amont du tournage.

Quelle que soit la qualité de l'interprétation, je pense qu'il y aura des difficultés à dire ces textes lointains, à les prononcer. à les mémoriser parfaitement. Ces aléas de la diction ne seront pas cachés. Ils me semblent s'intégrer tout à fait dans le processus du film.

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Le choix de textes de Shakespeare s'est imposé, entre autres, parce qu'ils possèdent un élan lyrique, un souffle, qui est aux antipodes de la perception qu'on a de la vie des vieux dans une salle de repos. Quelques soit la situation qu'ils évoquent, les textes shakespeariens sont très rarement doucereux ou larmoyants. Ils peuvent être excessivement pessimistes, très noirs, mais ils mettent généralement en scène des personnages qui n'abdiquent pas.

Par ailleurs, les textes récités sont des textes prévus pour des personnages nettement plus jeunes que ceux du film.

Ce sont ces décalages qui m'intéressent et me semblent émouvants.

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Les monologues sont intégrés à la narration. Il n'y aura pas de différence formelle entre les plans documentaires et les plans mis en scène. Les vieilles personnes qui disent les textes seront filmés de la même façon que les autres pensionnaires. Avant qu'ils ne se mettent à parler, on les aura déjà aperçu dans la salle de repos comme les autres vieillards.

Le film joue du trouble créé par la juxtaposition de ces plans "réels" et "fictionnels". Avant que le spectateur ne perçoive la cohérence du texte, je voudrais qu'il s'imagine assister à de simples divagations. Je voudrais que l'on doute un moment de ce qu'on voit : S'agit-il d'une captation de la réalité, ou l'ensemble est-il mis en scène? Ces vieillards jouent-ils les impotents ?

Par là, je voudrais   que l'on questionne un tant soit peu la sénilité, ou l'impotence supposée de ces vieilles personnes. Pour ma part, j'ai souvent trouvé les vieux bien moins séniles qu'ils ne le paraissent.

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Le film est tourné sur support pellicule. La caméra sera toujours sur pied, et le film sera en grande partie composé de plans fixes. Sans tomber dans l'esthétisme, je ne désire pas capter la réalité comme une matière brute.

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Un film me semble vraiment intéressant à réaliser aussi lorsqu'il peut être une belle expérience à vivre. Tenter de mettre en place, dans une maison de retraite, pendant quelques temps (bien en amont du tournage), une sorte "d'atelier de jeu", avec l'espoir que des pensionnaires peu à peu se prêteront à l'exercice, ce me semble "valoir la peine". En tout cas, cela me tente.


EXTRAITS POSSIBLES POUR LES MONOLOGUES (ces textes sont indicatifs) :

Juliette  :

Commande-moi de sauter du plus haut des créneaux d'une tour,

Ou d'errer dans les rues du crime. Mande-moi

De me cacher parmi les serpents. Rive-moi

Avec des ours grondants, enferme-moi

De nuit dans un charnier empli jusqu'au faîte

Des os s'entrechoquant des morts, tibias fétides,

Crânes jaunâtres sans mâchoire... Commande-moi

D'aller dans une tombe creusée de frais

Me coucher près d'un mort sous son linceul !

Tout cela, j'ai frémi quand on le raconte et pourtant

Je le ferais sans crainte ni défaillance

Pour garder son épouse à mon cher amour.

Que je voudrais être convenable, que je voudrais,

Ce que j'ai dit, le détruire ! Mais adieux, mes bonnes manières,

M'aimes-tu ? Si tu m'aimes, proclame-le d'un coeur bien sincère,

Et si tu m'as trouvée trop aisément séduite,

Je me ferai dure et coquette, je dirai non,

Mais pour que tu me courtises, car autrement

J'en serai incapable...

(Roméo et Juliette, extraits II,2 et IV,2)


Macbeth  :

Elle aurait du mourir en un autre temps,

Un ou pour ce grand mot, la mort, il y aurait de la place.

Hélas, demain, demain, demain, demain

Se faufile à pas de souris de jour en jour

Jusqu'aux derniers échos de la mémoire

Et tous nos " hiers " n'ont fait qu'éclairer les fous

Sur le chemin de l'ultime poussière.

Eteins-toi brève lampe !

La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur

Qui s'agite et parade une heure

Puis on ne l'entend plus. C'est un récit

Plein de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte

Et qui n'a pas de sens.

J'ai donc presque oublié le goût de la peur.

Il fut un temps où mes sens se seraient glacés

A un cri dans la nuit ; où mon cuir chevelu

Se serait hérissé au moindre conte lugubre

Comme s'il eût été la réalité.

Mais j'ai eu mon saoul d'horreur,

L'atroce m'est familier et ne me fait plus tressaillir.

(Macbeth, extraits V,5)