Dossier de présentation définitif pour rechercher les partenaires financiers du film

 

Ensuite, ils ont vieilli

un film de S.Louis


 

SYNOPSIS

Dans la salle de repos d'une maison de retraite, tout est calme. Quelques très vieilles personnes de plus de quatre-vingt ans sont assises : visages ridés, regards qui se perdent dans le vague, mains qui tremblent...

L'un après l'autre, certains des pensionnaires parlent, comme pour eux-mêmes, et commencent à réciter des monologues extraits de pièces de Shakespeare. Ils parlent d'amour, de frayeur face à la mort, de l'inanité de nos destinées,...

Autour d'eux, la vie de la maison de retraite suit son cours au rythme ralenti de la vieillesse.

" Ensuite ils ont vieillis " est une évocation du crépuscule de la vie.


SÉQUENCE 1 - EXT JOUR.

Un vaste parc dont la pelouse est entretenue avec soin, des arbres, des massifs fleuris. Plus loin se trouve un bâtiment de quelques étages datant des années cinquante ou soixante-dix. C'est un immeuble sans cachet, un cube préfabriqué posé au bout du parc. L'alignement de fenêtres aux rideaux tous similaires, l'absence de signes distinctifs, nous laisse à penser qu'il s'agit d'un lieu de collectivité... peut-être un hôpital.

Au rez-de-chaussée, une véranda s'avance légèrement sur une petite terrasse dallée.

L'endroit semble désert.

On s'approche lentement du bâtiment, puis plus précisément de la véranda. Les glaces des portes-fenêtres reflètent les nuages, et laissent peu à peu deviner des présences humaines qu'on voit mal, des silhouettes assises et immobiles.

L'approche se poursuit vers l'une des vitres. On découvre, de plus en plus nettement, la salle de repos d'une maison de retraite. Une dizaine de personnes âgées, d'au moins quatre-vingt ans, sont assises à l'intérieur. Elles ne semblent rien faire de particulier.

Le titre apparaît sur fond noir: " Ensuite, ils ont vieillis " .

SÉQUENCE 2 - INT JOUR.

À l'intérieur du bâtiment, un long couloir clair, fonctionnel, sans décoration.

Un vieil homme avance à pas lents à l'aide d'un déambulateur. Sa position voûtée nous cache en partie son visage. Le haut de son crâne, très dégarni, est parsemé de tâches de vieillesse. Le vieillard porte un pantalon de costume, un pull, des pantoufles.

Au bout d'un moment, il bifurque. L'accès à la véranda se trouve à proximité. L'homme y entre, et rejoint les autres pensionnaires de l'établissement.

La pièce est sobre, clinique. En guise de décoration, des bouquets de fleurs en plastique sont posés dans les coins. Quelques compositions de fleurs séchées sont accrochées aux murs. Quelques appareillages d'aide à la mobilité (déambulateurs, béquilles, un fauteuil roulant vide dans un angle de la salle...) , sont les seuls signes de médicalisation apparents.

Dans le silence du lieu, chaque élément sonore se détache nettement. La vie ici se déroule au ralenti, dans un climat feutré, où peu de choses bougent.

Dans la salle de repos, dix personnes environ (plus de femmes que d'hommes, toutes très âgées), sont assises sur des sièges de salon confortables, ou des fauteuils roulants.

Plusieurs d'entre elles sont habillées de vêtements sans recherche, d'autres sont restées en pyjamas ou en robes de chambres. Certaines sont bien coiffées, l'une des femmes est même maquillée, d'autres ne sont plus attentifs à l'apparence : cheveux décoiffés et hirsutes, airs hagards.

L'étrange réalité des maisons de retraites se dessine, mélange de personnes lucides et de personnes séniles.

L'homme au déambulateur s'approche d'un fauteuil vide, échange quelques mots avec la vieille dame assise sur le siège voisin. Elle ne le comprend pas, il répète, plus fort, sa demande de pouvoir s'installer à côté d'elle. La vieille femme acquiesce, l'homme s'assoit péniblement.

SÉQUENCE 3 - INT JOUR.

Si les deux plans d'ouverture du film sont prédéfinis, les éléments suivants seront en grande partie captés de façon documentaire, c'est-à-dire en interférant au minimum pour laisser la vie normale de la véranda suivre son cours. Le principe de tournage est de capter des évènements, des conversations, des attitudes qui viendront nourrir la représentation du lieu et de son quotidien.

Les plans comportant des extraits de texte, mis en scène, seront esthétiquement similaires à ceux tournés de façon documentaire.

Le début de la séquence est une galerie de portraits, toutes les personnes sont filmées à même échelle, en plan rapproché, principalement de face. Les discussions entre deux pensionnaires sont filmées en plan un peu plus large, à deux personnages :

Un vieillard est au bord de la conscience, gagné lentement par le sommeil. Ses yeux papillonnent, puis sa tête s'affaisse lentement et s'immobilise : l'homme dort.

Une veille femme, le regard vide, semble attendre. Ses cheveux blancs sont légèrement teintés de reflets mauves.

Un peu plus loin dans la pièce, un autre vieillard a le même air absent. De temps à autre cependant ses lèvres bougent comme pour parler. Aucun son ne sort de sa bouche. Puis il s'immobilise à nouveau.

La femme qui semblait attendre rompt soudain son immobilité. Elle se tourne vers sa voisine, lui parle fort, avec un accent alsacien prononcé et une énergie nouvelle qu'on ne lui supposait pas. Elle dit, par exemple, qu'il va bientôt être l'heure d'aller voir le feuilleton à la télé. Sa voisine répond en dialecte. Elles échangent encore quelques mots : le feuilleton n'est que dans une demi-heure... Puis la conversation se tarit, et chacune retourne à son mutisme.

Une autre femme au visage ridé, le regard perdu, se met à parler toute seule, pour elle-même. Ses paroles s'élèvent lentement, comme si elles venaient de très loin, d'un très vieux souvenir. Au début, on pourrait croire à une rêverie sénile.

LA FEMME RIDÉE :

Commande-moi de sauter du plus haut des créneaux d'une tour,

Ou d'errer dans les rues du crime. Demande-moi

De me cacher parmi les serpents. Accroche-moi

Avec des ours grondants, enferme-moi

De nuit dans un charnier empli jusqu'au faîte

Des os s'entrechoquant des morts, tibias fétides,

Crânes jaunâtres sans mâchoire... Commande-moi

D'aller dans une tombe creusée de frais

Me coucher près d'un mort sous son linceul !

Tout cela, j'ai frémi quand on le raconte et pourtant

Je le ferais sans crainte ni défaillance

Pour garder son épouse à mon cher amour.

Parfois, la femme peine à se rappeler des mots et semble fouiller sa mémoire. Après un temps d'absence, elle reprend son récit.

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D'autres visages, d'autres regards... Rides, peaux marquées par les années, mains immobiles, un oeil humide...

Une infirmière traverse la véranda et s'approche d'une vieille dame, le bras en écharpe dans son fauteuil roulant. C'est l'heure des soins. L'infirmière emmène la pensionnaire vers le couloir.

Ailleurs dans la pièce, une femme d'une quarantaine d'années discute avec un vieillard, visiblement son père. Elle prend des nouvelles de sa santé. L'homme a le visage tanné d'un vieux paysan, les mains cagneuses des travailleurs manuels. Il a des difficultés à parler, mais semble heureux de la présence de sa fille.

Deux des vieilles femmes ont entamé une discussion. Elles parlent fort, en alsacien. L'une d'elles évoque le rossignol qui chantait ce matin dans le parc...

Et puis tout se tait à nouveau.

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Tandis qu'un des vieillards se racle la gorge, un autre se met à parler, lentement, sobrement, comme pour lui-même :

1 ER HOMME :

Elle aurait dû mourir en un autre temps,

Un temps où pour ce grand mot, la mort, il y avait de la place.

Hélas, demain, demain, demain

Se faufile à pas de souris de jour en jour

Jusqu'aux derniers échos de la mémoire...

Eteins-toi brève lampe !

La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur

Qui s'agite et parade une heure

Puis on ne l'entend plus. C'est un récit

Plein de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte

Et qui n'a pas de sens.

Puis c'est un autre homme, petit, chenu, qui se met à parler :

2 ÈME HOMME :

J'ai donc presque oublié le goût de la peur.

Il fut un temps où mes sens se seraient glacés

À un cri dans la nuit ; où mon cuir chevelu

Se serait hérissé au moindre conte lugubre

Comme s'il eût été la réalité.

Mais j'ai eu mon saoul d'horreur,

L'atroce m'est familier et ne me fait plus tressaillir.

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On revoit l'ensemble des pensionnaires. Il n'y a presque plus de gestes, seulement l'un ou l'autre qui modifie légèrement sa position, quelques toussotements. Une des vieilles dames, ses longs cheveux rassemblés en chignon, sourit dans le vide.

Dans un long travelling, on passe d'une personne à l'autre, lentement. Elles sont pour la plupart immobiles, l'air ailleurs. On s'arrête sur la femme ridée qui récitait le premier texte. Après un moment, elle recommence à parler, le regard toujours perdu :

LA FEMME RIDÉE :

Que je voudrais être convenable, que je voudrais,

Ce que j'ai dit, le détruire ! Mais adieux, mes bonnes manières,

M'aimes-tu ? Si tu m'aimes, proclame-le d'un coeur bien sincère,

Et si tu m'as trouvée trop aisément séduite,

Je me ferai dure et coquette, je dirai non,

Mais pour que tu me courtises, car autrement

J'en serai incapable...

Peu après qu'elle a commencé son monologue, un lent panoramique décrit tout l'espace de la véranda, jusqu'aux portes-fenêtres qui donnent sur le parc. Le plan s'éclaire au fur et à mesure que l'on approche de la lumière. Lorsqu'on est face aux vitres, l'image est surexposée, presque blanche.

On entend au dehors les bruits de la nature.


NOTES D'INTENTIONS

À quoi pense-t-on lorsqu'on devient très vieux, que nos capacités physiques et mentales peu à peu s'amoindrissent ? Dans ce rythme ralenti de la vieillesse, qu'est-ce qui nous traverse l'esprit ?

Il me semble beau d'imaginer qu'il reste en nous, quel que soit l'âge et l'état de santé, des lambeaux de rêve. " Ensuite ils ont vieillis " est une évocation poétique qui trouve là son point de départ..  

Le film esquisse le portrait d'un lieu à partir de celui de ses occupants, et propose, plus largement, un regard tendre sur la vieillesse.

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Dans les centres de gériatrie, il y a toujours une sorte de véranda, de solarium, de salle de repos : un espace donnant sur une belle vue, ou du moins un coin de verdure. Un lieu de désoeuvrement, où les personnes âgées sont amenées pour ne rien faire, laissées là pour quelques heures. Beaucoup y font leur sieste, c'est aussi l'un des seuls lieux d'échange entre pensionnaires (hormis le réfectoire aux heures de repas). Souvent, l'endroit sert également d'interface avec le monde extérieur, de sas où les visiteurs viennent chercher un de leur proche pour une sortie...

C'est un lieu où l'on parle bas, où tout évolue sans cesse mais au ralenti, qui vit au rythme du quatrième âge.

Aussi, me concentrer sur l'espace de cette salle pour filmer la vieillesse me semble judicieux : elle m'a toujours semblé particulièrement symptomatique de la façon dont vivent les vieilles personnes, et de la façon dont on les fait vivre.

De façon plus générale, j'ai une réelle prédilection pour filmer des gens en situation d'abandon, d'attente, d'ennui... Ce qui s'y raconte de nous est souvent plus intime, on s'y révèle souvent plus clairement que dissimulés derrière une quelconque activité. Lorsque la vie se ralentit, ce qu'elle raconte m'intéresse plus que son fourmillement quotidien.

Pour cela, entre autres, je désire depuis longtemps faire un film avec des très vieilles personnes. Elles nous racontent beaucoup, me semble-il, sur notre condition.

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Le principe de réalisation est d'utiliser une réalité en partie documentaire pour faire un travail de fiction. Le film alternera sans différentiation formelle des plans captant la vie de tous les jours dans la salle de repos, et d'autres mis en scène. Les uns comme les autres seront majoritairement des plans fixes, plutôt proches des personnages, souvent de face, dans des compositions de cadre simples mais rigoureuses.

Pour les plans documentaires, le principe de tournage est d'interférer au minimum avec la vie courante dans la maison de retraite. Il s'agit de capter les micro-évènements se déroulant dans la salle de repos, d'être attentifs aux expressions, aux émotions, aux corps et à leurs mouvements, parfois infimes. D'isoler la véranda de son contexte réel pour traiter le lieu comme un décor. D'isoler les pensionnaires filmés pour leur donner le statut de personnages.

Il me semble qu'en projetant ces personnes dans un univers de fiction, il peut se raconter quelque chose de plus digne et de plus émouvant que la réalité prosaïque de la vie en maison de retraite.

À de rares exceptions, les seuls plans prévus pour être mis en scène sont ceux où des vieilles personnes récitent des monologues de Shakespeare. Ces pensionnaires auront déjà été précédemment aperçues dans la salle de repos, filmés au même titre que les autres personnes âgées. Avant que le spectateur ne perçoive la cohérence du texte, je voudrais qu'il s'imagine assister à de simples divagations. Je voudrais que l'on doute un moment de ce que l'on entend .

Par là, je voudrais également que l'on doute de ce que l'on voit : S'agit-il d'une captation de la réalité, ou l'ensemble est-il mis en scène? Ces vieillards ont-ils jusqu'à présent joué les impotents ? À travers l'interrogation de notre rapport à l'image, c'est notre rapport à la vieillesse que je veux questionner, notre rapport à l'impotence supposée de ces vieilles personnes.

Le choix de textes shakespeariens s'est imposé d'emblée. Quelque soit la situation qu'ils évoquent, ils ne sont jamais doucereux ou larmoyants. S'ils peuvent être excessivement pessimistes, d'une   terrible noirceur, ils mettent généralement en scène des personnages qui n'abdiquent pas. Indépendamment de leur beauté, ils possèdent un élan lyrique, un souffle épique qui est aux antipodes de la perception qu'on a de la vie des vieux dans une salle de repos.

À travers la récitation de ces monologues , c'est une autre facette des personnages qui se révèle, plus inattendue et qui leur donne de l'ampleur : Le souhait d'être un autre, le hiatus cruel entre l'apparence première et la personnalité réelle, l'évocation des désirs toujours vifs...

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Les quelques vieillards qui diront les quatre monologues seront de réels pensionnaires de maison de retraite, choisis en amont du tournage. Un long travail sur le jeu sera effectué avec ces personnes. Il ne s'agira pas d'interpréter les textes, mais de les dire comme des soliloques, comme pour soi-même, dans la plus grande sobriété.

Quelle que soit la qualité de l'interprétation, je pense qu'il y aura des difficultés à dire ces textes lointains, à les prononcer, à les mémoriser parfaitement. Ces aléas de la diction ne seront pas cachés. Ils me semblent s'intégrer tout à fait dans le processus du film.

Ce projet se construira dans une relation de confiance avec les pensionnaires de la maison de retraite, et avec le personnel qui y travaille. Nous nous attacherons, lors de la préparation du tournage, à prendre le temps d'établir avec chacun une relation sincère. Bien mené, ce film peut être une belle expérience à vivre, pour tout le monde.

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Note concernant l'image :

Le film est tourné sur support pellicule, pour la beauté et la douceur de l'image, pour tendre plus clairement vers la fiction.

Il sera réalisé presque exclusivement en lumière naturelle, pour ne pas perturber la vie du lieu. Une grande attention sera cependant portée à la qualité photographique de chaque plan : Les vieux visages, comme les vieux corps, peuvent révéler une   surprenante et très troublante beauté.

Sans tomber dans l'esthétisme, je ne désire pas capter la réalité comme une matière brute.

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Note concernant le son :

Si une prise de son directe de l'ensemble du tournage sera effectuée, une grande partie du son sera reconstituée au montage, avec l'utilisation fréquente de sons seuls et bruitages. Il s'agit de simplifier l'espace sonore, de le clarifier, de dissocier chaque élément de l'ambiance générale pour mieux le souligner, pour mieux travailler le rythme d'ensemble.