APPROCHES ET NOTES EPARSES

*Dans ces notes, je me permets souvent d'employer l'appellation commune de "vieux", plutôt que celle de "vieille personne". Il ne s'agit pas d'une marque d'irrespect.

•  Une question me traverse l'esprit de façon récurrente : À quoi pensent les vieillards que l'on rencontre parfois dans les centres de gériatrie, immobiles pendant des durées invraisemblables, les yeux perdus ?

•  J'ai envie de mettre en scène de très vieilles personnes en train de réciter des monologues de Shakespeare.

•  Il me semble que nous devrons nous attacher à renforcer le jeu trouble entre fiction et documentaire que je désire mettre en place.

•  Dans ce projet, la réalité documentaire filmée dans une maison de retraite avec de vrais pensionnaires sert de « matière première » pour construire la fiction.

•  Une maison de retraite est un lieu qui m'a toujours semblé particulièrement révélateur, à double titre. Déjà, il souligne le sort peu enviable auquel sont souvent voués les vieux. Ensuite, les caractéristiques particulières de la vieillesse s'y révèlent clairement.

•  Même dans les plans non mis en scène, la salle de repos et les vieux qui y passent seront filmés "comme dans un film de fiction".

•  Par ailleurs, les textes de Shakespeare apparaissent clairement comme une littérature d'un autre âge, et cependant la vivacité de sa langue a gardé une fraîcheur. On pourrait croire à un délire, mais leurs monologues ont la beauté de poèmes.

•  Le film alterne le déroulement d'une après-midi pour quelques vieillards et ces mêmes personnes nous récitant des monologues extraits de pièces de Shakespeare autour des thèmes de l'amour et de la jeunesse. Des plans documentaires et des plans « mis-en-scène » seront intercalés.

•  La présence charnelle, un peu débarrassée de son rôle social, permet de saisir une parcelle d'intimité (flou dans l'idée, à creuser).

•  La Chambrée , mon premier film, évoquait ainsi l'état d'oppression d'un jeune appelé en dressant le portrait d'un dortoir de militaires endormis. Quant au projet de long-métrage que je développe actuellement, il est situé dans une terre dépeuplée où quelques personnages tentent désespérément de lutter contre l'ennui...

•  Depuis longtemps, je désire faire un film avec des vieux.

•  L'idée d'abandon.

•  Impotents, invalides, séniles, décatis, vivant sous assistance médicale, dans les maisons de retraites, dans les centres de gériatrie. Pas des grands-parents vaillants profitant de leur retraite.

•  Le film cherche moins à développer une narration qu'une recherche contemplative de l'émotion.

•  Dans les maisons de retraites ou centres de gériatrie, il y a toujours une sorte de véranda, de solarium, de salle d'attente, de patio, de "salle de repos" : un espace, souvent ensoleillé, parfois donnant sur un parc, ou une belle vue (ou pas du tout). Un lieu où les vieux sont amenés, et dans lequel on les laisse pour quelques heures. La vie ici se déroule au ralenti, dans un climat feutré, où peu de choses bougent.

À partir du portrait de quelques personnes dans cette "salle de repos", je voudrais évoquer cette étrange phase de l'existence que constitue la fin de la vie.

•  Ensuite, ils ont vieilli est aussi une façon d'interroger la place qui est accordée aux vieux dans notre moderne société, ainsi que les thèmes de l'amour, de l'inanité de la vie, de la peur de la mort...

•  Les sons sont étouffés, chaque élément se détache nettement de l'ambiance générale.

•  Nous tenterons au maximum de nous faire oublier pour laisser la vie normale suivre son cours.

•  L'esthétique des plans est très clairement établie : Tous seront réalisés sur pied. Il s'agira principalement de plans fixes, s'attardant sur les visages et les corps.

•  Un homme vient s'asseoir, un autre s'endort, deux femmes échangent quelques mots. À quoi pense-t-on lorsqu'on a toute la vie derrière soi, quand on est au bord de la sénilité ?

•  Le film sera une "fiction du réel", une fiction qui intègre des scènes captées de façon documentaire pour construire sa propre narration.

•  J'ai une prédilection pour filmer des gens en situation d'abandon, d'attente, d'ennui... Lorsque la vie se ralentit, ce qu'elle raconte m'intéresse plus que son fourmillement habituel. Pour cela, entre autres, je désire depuis longtemps faire un film avec des vieilles personnes, du quatrième âge. Les vieux, me semble-t-il, nous racontent beaucoup sur notre condition.

•  Il y a quelque chose d'émouvant dans l'entre-deux qui se dessine chez les très vieilles personnes, naviguant entre lucidité et perte des capacités intellectuelles, entre éveil et atrophie.

•  Le film superpose ainsi à la perception première d'une vieillesse au bord de la sénilité, un aspect fictionnel plus inattendu, qui donne de l'ampleur aux situations. Le but n'est pas d'évoquer "la vie réelle", mais de l'inclure dans une narration fictionnelle. À cela, la lecture de monologues, ajoute une dimension supplémentaire.

•  Le type de cadrages utilisé pour les monologues de Shakespeare sera le même que pour les autres plans du film (assez proches des personnages, plutôt de face).

 

Note concernant le montage :

À partir d'une idée de départ assez précise, le moment du tournage représente pour moi un temps de « récupération de données ». Ce film (comme La Chambrée , ou plus récemment Savent-ils souffrir? ), sont en grande partie des « films de montage »: La narration se dessine à partir du rythme des plans, de la juxtaposition des éléments, plus que selon un principe logique prédéfini.