Notes à l'attention de la post-production

 

Les ongles noirs, un film en cours.

Après les mots,
Après les recherches iconographiques,
Après le choix d’une caméra portée et les options d’ambiance de lumières et de cadres,
Après la distribution des rôles,
Après le choix des matières et des patines,
L’écriture se poursuit par le montage image, le montage son, le mixage et l’étalonnage.

L’écriture s’intensifie, elle se concentre. Il s’agit maintenant de travailler avec la matière obtenue, parfois conforme aux rêves, parfois récalcitrante.

Le film est silencieux, autant dire que le montage son et le mixage deviennent primordiaux.

Le montage son.

Des questions : Comment accompagner la solitude et les tourments de Léonard ? Comment rendre compte de la vie quotidienne d’un curé de village pauvre du XIXème siècle français ? Le film est souvent en plan rapproché, le son peut m’aider à créer une profondeur de champ, à faire ressentir aux spectateurs la géographie que l’image ne montre pas. Par exemple, comment faire sentir le volume de la chambre de Léonard, comment donner corps à la topographie du presbytère, de l’église ? Comment, sans surcharge, rendre compte de la nature hivernale, de cette faune et de cette flore « à l’arrêt », de la brume qui étouffe les sons et qui renforce les pas de Léonard ?
Aussi peu de mots donne aussi la possibilité de donner une belle importance à chaque son, de s’essayer à la dentelle car la moindre intervention peut très vite devenir « intention », être volontariste et étouffer les images et le spectateur. Nous peindrons au pinceau le plus fin pour donner à chaque touche une véritable importance.

D’autres questions encore, celles liées aux apparitions. J’ai fait le choix de ne pas jouer les effets, les irruptions deviennent des glissements du réel vers les souvenirs ou les fantasmes de Léonard. C’est le moyen que j’ai choisi pour confondre le spectateur, lui faire croire ce qui n’est pas, le placer en état d’éveil par rapport au personnage de Léonard. Les sons devront être à l’aune de ce choix.
Cependant cette période consacrée à la post-production doit aussi être le lieu des expérimentations, je veux tester, éprouver, pour trouver le meilleur lien entre les images et les sons.

 

La musique.

Pour accompagner Léonard, garçon solitaire, j’avais imaginé rien de moins que… rien. Du silence répondant au silence de sa situation. Un entrelacs de sons d’ambiance et de sons directs et surtout pas de musique.

Vint ensuite plusieurs questions :
Comment faire vivre un récit construit autour du silence, de la solitude ? Comment faire entendre un silence ?
Comment traiter les différentes apparitions de Valentine, les fantasmes et les fantasmagories (irruption des séminaristes grimés) ?
Comment accompagner la course finale de Léonard à la fin du film ? Cette liberté nouvelle comment lui donner corps au côté du corps du comédien ?
Vint alors le Festival de Clermont-Ferrand 2008 où je vis le film Monstre 2 d’Antoine Barraud. Instantanément, la partition allusive qui se jouait entre le récit et la musique m’a parlé.
J’ai donc pris contact avec Antoine Dumont, compositeur pour lui faire lire mon scénario.

Le dialogue s’est noué, des références ont afflué, une complicité s’est organisée, le travail pousse à l’énoncé des idées.

- Comme Valentine est à jamais incrustée dans la mémoire de Léonard, la musique doit garder cette faculté de nous faire entendre l’indicible, de faire résonner à notre oreille une note que nous ne pourrons plus jamais oublier.
- L’idée simple qu’une mélodie puisse se construire progressivement (comme se construisent la décision et la personnalité de Léonard). Des notes et des mesures pourraient être égrenées tout au long du film pour ne s’assembler que lors de la course finale vers le fleuve. Le film devient une portée sur laquelle les notes s’assemblent pour prendre sens au final.
- La question de l’éloignement temporel de cette histoire est essentielle. Ni Bach, ni Schumann pour éviter la facilité et tordre le cou au « film d’époque ». C’est pourquoi, je me suis adressé à un compositeur familier des nouveaux instruments, ces compagnons des ordinateurs qui savent fouiller dans les entrailles des programmes pour donner naissance à des sons nouveaux comme si nos oreilles étaient tout à coup lavées. Je souhaite travailler à ordonner ensemble le récit des images et des sons en ancrant la musique dans une matière très contemporaine. Je veux prendre le temps de fignoler telle distorsion au plus proche des notes et des sons. C’est un défi, je le sais, c’est risqué, je le sais aussi mais les questions qui s’ouvrent sont assez passionnantes pour les éviter.

>> approche musicale

 

L’étalonnage.

Dans un précédent film (L’herbe collée sous mes coudes), j’ai imaginé que l’apparition des couleurs dans un film noir&blanc pouvait renforcer les sentiments complices et fugitifs des personnages. Ce travail m’avait révélé, une fois encore, que la couleur était un outil de plus dans la boîte à outil du réalisateur.

Pour Les ongles noirs, j’ai mis à profit le temps de l’écriture et de la préparation pour m’abreuver aux grands maîtres de la peinture. Avec Hoang Duc NGO TICH, le chef opérateur, nous avons feuilleter les ouvrages consacrés à Georges de la TOUR, les esquisses de MANET, les tableaux de VAN GOGH, les photos d’Alexandre DUBOSCQ et de Mario GIACOMELLI… toute une cohorte d’artistes irremplaçables dont mon imaginaire s’est nourri et que j’ai fait partagé à l’ensemble de l’équipe. >> carnet d'approche

L’étape de l’étalonnage devient essentiel pour mettre au jour nos choix :
- Des intérieurs sombres d’où émerge des îlots de lumière. La lueur des lampes à pétrole doit combattre la pénombre, elle ne gagne la bataille qu’autour d’elle, le reste des pièces est toujours dans la nuit. Cette nuit qui s’empare des décors, s’empare aussi de Léonard, il est dans une nuit profonde.
- Nous sommes en hiver, le froid engourdit les extérieurs et les intérieurs mal chauffés, nous avons à traiter les couleurs des intérieurs Jour et Nuit et les extérieurs de promenade nocturne et de marches diurnes. Nous avons déjà mis en évidence la buée qui sort des lèvres, la chaleur de l’eau sur une peau au moment de la toilette, ce travail de détails puise son origine dans la sensualité qui est l’une des histoires du film. Nous nous sommes attachés à mettre en scène le cou et le corps de Valentine, le corps désirant de Léonard. La lumière de Hoang Duc sera révélée par le travail de l’étalonnage.

- Et la même question qui revient, celles des « apparitions ». Ce temps d’étalonnage n’est pas une simple mise à niveau des images, ce doit être un moment d’expérimentation, comme dans les sciences, je veux pouvoir prouver par les contraires le bien fondé de mes intuitions et donc prendre le temps d’éprouver.

Ces moments de travail à venir doivent être aussi des moments de chaos où je triture la matière du film avec mes partenaires. C’est retrouver le plaisir enfantin à malaxer, à mélanger, à triturer pour « voir ce que ça fait ». L’idée juste et pertinente peut naître de l’informe. La part du hasard n’est pas négligeable dans la fabrication cinématographique.

Jérôme Descamps, février 2009.

 

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