1.CHAMBRE. INTERIEUR LEVER DE JOUR.

Une chambre où quelqu’un dort. Un rai de lumière entre dans cette petite chambre obscure. Imperceptible soleil. Quelqu’un dort et se réveille tout doux. Le nombril, découvert, ressemble à un œil ouvert.  

 

 

2. ETABLE. INTERIEUR LEVER DE JOUR.

  

Dans une étable, des vaches endormies. Des vaches rousses, presque rouges, des Salers, dans cette étable sombre. C’est l’heure de la traite du matin et du semi-sommeil.

Céleste branche la radio. Les mauvaises nouvelles du monde, la chaleur des bêtes, la lumière naissante  remplissent cette sorte de grotte, de refuge pour humains.

Céleste a vingt ans, une grâce particulière, un corps contrasté, quelque chose de masculin dans la découpe de sa silhouette et dans ses gestes, un visage enfantin, la peau laiteuse. Rien dans ce corps ne sera lisse, facilement lisible.

Céleste passe de l’une à l’autre de ses bêtes, les caresse, les touche, les palpe, verse le lait dans un bidon de fer.

Les veaux têtent leur mère, amorcent la montée de lait, puis sont retirés du pis et attachés à l’une des pattes de leur mère. Ils sont résignés, patients, les mères lèchent leur petit.

Les machines de traite font un léger bruit de coeurs qui battent.  

Céleste a posé sa tête sur le flanc d'une vache patiente et douce. Elles se câlinent toutes les deux. La tendresse de deux soeurs. Deux confidentes. Céleste rote.

 

Céleste (à la vache)

Pardon.

Elle bâille si fort que ses yeux se mouillent.

  

3. CHEMIN. EXTERIEUR JOUR.

  

Couleurs et lumières d’été, ciel bleu profond et paysage grillé par la chaleur. Les vaches se dirigent, libres, vers un pré immense. Se découvre à perte de vue le paysage du Cézallier, ses formes rondes et montagnardes, ses prairies d’estives désertes et pelées.

Le troupeau passe, tranquille, nonchalant, cloches au vent. Céleste le suit, un détecteur de mêtaux posé sur l’épaule

 

Céleste fait passer son détecteur d'un côté à l'autre du chemin. Lorsque sa machine émet un son plus long, elle s'arrête, se baisse et gratte la terre. Elle y trouve, petits trésors précieux, des bouts de ferraille qu'elle glisse sans les regarder dans la poche de sa combinaison.

  

Soudain, l'imperceptible ronron d'une voiture qui s'approche. Elle n'a pas besoin de se retourner. Elle reconnaît le son de la voiture. Son sourire éclate, confiant.

Vient se garer sur le chemin la voiture jaune du facteur.

  

4. PRAIRIE. EXTERIEUR JOUR.

  

Céleste et le facteur cueillent des framboises sauvages sur un chemin qui monte et qui découvre une colline ronde. Ils sont joyeux.

Céleste et le facteur font l'amour dans la prairie qui domine le paysage. Les rondeurs de leur corps se fondent avec la forme des montagnes.  

Le facteur a le double de l'âge de Céleste. Il a du charme, c’est sûr, mais on sent au fond de lui-même une certaine tension qu’il aimerait camoufler.

Céleste a deux framboises plantées au bout de ses tétons. Le facteur les mord.

 

Céleste

J'attends quelque chose.

Le facteur (étonné)

Quoi donc ?

Céleste (secrète)

Quelque chose.

Le facteur

Quoi ?

Un temps, elle hésite, elle n’ose pas.

Céleste

Rien. Je le dirai demain.

Le facteur fixe le paysage, ouvert et étonnamment calme.  

Le facteur

J’aime bien quand tu parles pas.

Il l’embrasse entre les deux seins.

  

Le facteur

J’aime bien quand on se dit rien.

  

Céleste sourit, vaguement intriguée par la réflexion de son amant. Lui regarde ses mains rougies par le jus des framboises.

  

5. SALLE A MANGER. INTERIEUR NUIT.

 

Céleste et son père, un homme rablé, mal fagoté, nettoient consciencieusement avec des chiffons les trouvailles du jour : une balle en cuivre, quelques vieilles pièces...  

Derrière eux, un meuble-vitrine fait de bric et de broc où est exposée leur collection de trésors : des fers à cheval, des casques de soldats, des brides de ceinturons, des pièces de monnaie... Des étiquettes écrites d’une main peu sûre : à côté du casque de soldat, l’étiquette “ Casque ”, à côté des pièces de monnaie, l’étiquette “ Pièces ”, à côté d’une vague plaque métallique, un gros point d’interrogation,..

  

Céleste ouvre la porte en verre pas très solide pour y déposer un objet nettoyé.  

Le père

Mets pas tes sales pattes là-dessus ! Touche pas à ça ! C’est MON meuble. C’est moi qui fait. Tu vas encore tout déranger ! Toi tu fouilles et moi j’expose ! Chacun sa spécialité, bon dieu ! C’est pas une tête que t’as, c’est de la caillasse !

Céleste

Oh la la !

Céleste se rassoit, bougonne, et se remet au nettoyage. Silence dans les rangs. Son père a du mal à déchiffrer une vieille capsule de bouteille.  

Le père

Qu’est-ce tu lis là-dessus ?  

Céleste regarde attentivement.

Céleste

Schweppes.  

Le père

Ah, c’est bien, on l’avait pas encore celle-la. Et comment ça s’écrit ?

Céleste

Démerde-toi, puisque c’est ton meuble.

Il soupire. Elle s’est vengée.

6. CHAMBRE. INTERIEUR NUIT.

Céleste, debout face à un petit miroir à trois faces suspendu au mur, clope aux lèvres, se donne des grandes claques sur le corps. Elle s’amuse de son propre jeu.

Céleste (en murmurant, dans un amusememt d’enfant)

Tête de caillasse ! Nénés de caillasse ! Gros bedon de caillasse ! Couilles de caillasse !

7. CHEMIN. EXTERIEUR JOUR.

  

Céleste presse son troupeau vers la prairie.  

Céleste

Allez, allez, magnez-vous, j’ai quelque chose à lui dire.

Les vaches semblent comprendre son impatience et s’éloignent en trottinant. Céleste s'éponge le front. Puis guette l’arrivée de son amant. Personne. Personne. Elle s’inquète.

 

8. COUR DE FERME. EXTERIEUR JOUR.

  

Céleste attend son amant, adossée à sa grosse bombonne de lait. Personne en vue.   La voiture jaune apparaît à l’horizon. Le visage de Céleste s’éclaircit.

La voiture s’approche et vient se garer. Le visage de Céleste se fige.

Sort de la voiture, une factrice. Oui, une femme en uniforme des Postes. Une femme souriante, légèrement intimidée. Céleste la regarde s'avancer vers elle d'un oeil noir.

La factrice lui tend du courrier.

 

La factrice

Bonjour… Je suis la nouvelle factrice…

Céleste

Pardon ?

La factrice

Je suis la nouvelle factrice… Il vous a rien dit, mon collègue ? Pour sa mutation ?  

Céleste, abasourdie, secoue la tête, et regarde son courrier : la revue “ PASSION DE LA DÉTECTION”.  

La factrice (gênée)

Bon, ben, au revoir. Peut-être à demain.

Le père, caché par une porte d’étable, a assisté à toute la scène.  

 

9. LAC DE TOURBIERE. EXTERIEUR  FIN DE JOUR.

  

Céleste marche éperdue sur un chemin dégagé, celui qui mène au lac de tourbière.  Une eau sombre sans reflet. Un ciel blanc, d’un calme inhabituel.

Céleste regarde un instant le léger courant, arrêtée sur la rive. Puis elle entre dans le lac tout habillée et reste un instant figée, de l'eau jusqu'à la taille. Silence absolu.

Un héron la regarde et s’approche d’elle. Echanges de regards entre la jeune fille perdue et l’oiseau chasseur.

Plus tard, Céleste avance complètement dégoulinante, sur la rive du lac. La nuit tombe.

 

10. CHAMBRE CELESTE. INTERIEUR JOUR.

 

Le petit miroir tendu devant elle, Céleste regarde son sexe. Elle passe le miroir de droite à gauche, de haut en bas et contemple ainsi le mystère qu’elle cache entre ses cuisses.  

 

Le miroir monte sur son ventre, il s’est arrondi. Céleste prend un grand bandage et commence á s’en entourer les formes, les formes disparaîssent, son souffle est court.

 

11. FERME RENE. EXTERIEUR JOUR.

    

Céleste, suivie de René, un paysan sombre, visage marqué par son âge avancé,  arpente la cour très encombrée d’objets récupérés, de bidons, de clapiers, de pneus, de sa toute modeste exploitation, son détecteur autour du cou. Elle bougonne, René la suit sans broncher. Le détecteur reste muet. Rien dans la cour, rien dans l’étable, rien dans le foin. Ça y est, voilà l’objet convoité. Au fond d’une auge à cochons.

Céleste

V’là ta merveille.

René

Ah merci, merci ma fille.

René attrape la merveille, c'est une vieille dent dorée. Il essaie de se la recoller dans sa gencive édentée. Ça ne veut pas tenir. René sourit quand même des quelques dents qui lui restent.

Céleste

Elle est foutue ta quenotte, tu devrais arrêter de manger des trucs que t'as pas le droit.

René

Je sais.

Céleste

Qu’est-ce que tu feras le jour oú tu pourras plus rien bouffer ?

René

Ben, j’aurais plus qu’á me fouttre á l’eau.

René regarde ses godillots.

Céleste s’est éloignée, René passe le doigt sur les dents qui lui restent.

12.  COUR DE FERME. EXTERIEUR JOUR.

  

La factrice, descendue de sa voiture, se dirige vers le père de Céleste qui la regarde, souriant. Elle lui tend le journal “ La Montagne ”. Il le prend, un peu cérémonieux.

 

La factrice

Alors, qu’est-ce qu’y a à se mettre sous la dent aujourd’hui ?

Le père l’ouvre d’un geste à la page des faire-parts de décès et en lit un ou deux à voix haute. La factrice, amusée par le rituel, regarde par-dessus son épaule.  Céleste passe la tête depuis la porte de la maison. Elle les observe.

Le père

Quand je pense que le jour où vous verrez mon nom là-dessus, vous serez toujours en train  de vous amuser.

  

La factrice (étonnée de cette gravité matinale)

Et ben, c’est gai.  

Le père

Si, si, je mourrai au moins trente ans avant vous…

Un temps pendant lequel il la regarde presque comme un petit garçon.

Céleste observe toujours, tendant l’oreille.

Le père

Il y a dix ans aujourd’hui que je suis veuf.

 

La factrice

Et aujourd’hui, ça fait trente jours qu’on se connaît. On en a enterré du monde.

Le père

Ouais, on a bien travaillé.

Elle rit.

  13. PRAIRIE. EXTERIEUR JOUR.

 

Céleste est allongée à l’emplacement même où elle faisait l’amour avec son facteur. L’herbe de la prairie semble avoir gardé les empreintes de leurs étreintes. Céleste s’y niche. D’un mouvement de la main doux et tendre, elle caresse la montagne et ses formes rondes. Son manque est infini et ne se calmera jamais.

Des troupeaux de vaches paissent, la musique de cloches autour de leur cou résonne dans l’immensité du paysage. Les formes des montagnes environnantes ont épousé dans des temps lointains les coulées de lave d’un volcan puissant et désormais éteint. Céleste est ici loin de tout et au centre de son monde.

Sa main se perd dans le bleu du ciel. Puis elle se redresse d’un bond. Elle est seule, en manque, la montagne n’y changera rien.  Sa revue de la Passion de la Détection tranaille dans l’herbe.

 

Céleste (voix intérieure)

Chers amis détecteurs,

Je lis votre revue depuis plusieurs années et j’ai toujours suivi vos conseils techniques. Aujourd’hui, je vous écris car vous êtes les seuls à pouvoir m’aider. Existe-t-il un appareil pour détecter les gens qui sont partis sans rien dire? Un appareil pour comprendre les choses silencieuses ? Car je ne sais pas dire mes pensées et Pierre ne reviendra plus.

Je vous remercie et attend votre prochain numéro avec impatience.

Votre fidèle lectrice, Céleste Roussel

Mongreleix

Cantal

 

musique 17 (la caresse de la montagne)

 

14. SALON. INTERIEUR NUIT.

Le père de Céleste est assis, une serviette de toilette sur les épaules, un bol sur la tête et le journal la Montagne ouvert sur les genoux. Céleste commence à lui couper les quelques rares cheveux qui dépassent de son drôle de chapeau. Elle s’applique, il surveille les opérations dans le reflet d’un petit miroir ébréché tout en lisant son journal à haute voix.  

Le père est hilare. Céleste l’écoute, amusée, partagée.

Le père

Alors, en amour, “ des rencontres, encore des rencontres, mais le bonheur c’est quand même avec lui, il vaut tellement mieux que les autres ”. ( Il rit, il est content)

Travail, “ vous montrerez encore plus de mordant et d’esprit de décision dans le domaine des affaires… ”.

Santé : “ au top ”.

(il va bientôt s’étrangler)

Bon, à toi, Céleste. Alors, travail : “ le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres. Un évènement insignifiant en apparence vous met en première ligne pour décrocher un poste convoité.

 

Céleste (un peu cassante)

Ça fait 23 ans que je te fréquente, c’est la première fois que je te vois lire.

Le père

Et alors, j’ai décidé de m’instruire.

(il reprend sa lecture)

Alors, en amour, le bonheur c'est quand même avec lui.

 

Il est heureux. Il s’ébroue, il vient de retrouver un instant sa jeunesse. Céleste jette le bol par terre.

  

 

15. ÉTABLE. INTERIEUR NUIT.

  

Céleste farfouille sur l'établi de bricolage. Trouve un vieux pot de peinture.

Elle peint en grosses lettres dégoulinantes blanches la phrase “ J’AIME CELESTE ” sur le flanc de sa vache douche et rousse. Puis elle se repose, la tête sur le dos de sa bête définitivement aimante.

  

16. ROUTE. EXTERIEUR JOUR.

La factrice, adossée à sa voiture jaune arrêtée devant un paysage ouvert et caressant, croque des framboises perchées au bout de ses doigts. Elle rigole.

17. FERME RENE. EXTERIEUR JOUR.

 

Céleste déchiffre une écriture presque enfantine sur un carnet couvert de tâches “ le carnet des menues ”. René, assis à ses côtés, boit ses paroles.  

Céleste

Le cahier du temps où t’avais des dents, René.

René sourit comme plongé dans un bonheur passé.

Céleste va lire quelques menues de mariages.

Céleste

Alors, pour mon baptême, en entrée, vous avez boulotté des bouchées á la reine, terrine de sanglier, du saumon sauce citron,..

René

Et pour ta communion ?

Céleste tourne quelques pages du carnet.

Céleste

Alors, pour ma communion, filet de sole sauce meunière, cuissot de chevreuil...

René

Et pour le mariage de ta mère ?

Céleste

Alors, pour le mariage, petits pois á la française, des écrevisses...

René

Et une belle pièce montée...

René revoit en pensée ce souvenir de fête. Céleste attrape la main calleuse de son vieux voisin et la pose sur son ventre. Le ventre de Céleste réagit. René, interrogatif, laisse sa main, sans bien comprendre.

Céleste

Tu sens rien ?  

René hausse les épaules.

René

Qu’est-ce t’as donc avalé ?

Céleste sourit, un peu tristement, de sa naïveté.

 

18. ETABLE. INTERIEUR NUIT.

Céleste, le pull relevé, se fait lécher le ventre par sa vache douce et maternelle, la “ J’AIME CELESTE ”. Céleste ferme les yeux.  

 

19. CHAMBRE. INTERIEUR LEVER DE JOUR.

Avec de vieux morceaux de tissus cousus ensemble, Céleste se bande le ventre, se le corsette, se le serre, il a grossit. Céleste a changé, elle semble plus remplie et ses cheveux lui tombent dans les yeux.

Céleste ouvre son volet. Dehors, l'automne s'est installé.

 

20.  SALON. INTERIEUR JOUR.

La factrice regarde amusée le meuble-vitrine du père. Il la regarde, il est fier de son œuvre. Elle lit les étiquettes : “ METAUX SUREMENT PAS TRÈS PRÉCIEUX ”, “ PIECES QUI VALENT PLUS RIEN ”, “ CAPSULES D’ORANGINA”, “ BIERE 1664 ”, “ COCA COLA ”, “ KRONENBOURG ”, “ CHOUEPSS ”. Elle rit.  

21. PRAIRIE. EXTERIEUR JOUR.

Céleste parmi son troupeau qui paisse dans la prairie. Elle les appelle doucement :"viens, viens, viens", un appel régulier que les vaches reconnaissent. Elles viennent, dociles et confiantes. La première vache arrive à son niveau, celle portant le fameux “ J’AIME CELESTE ”. Céleste l'attrape par l'encolure et y fourre son visage malheureux.  

  Céleste (voix intérieure)

Chers amis détecteurs,

Vous n’avez pas encore répondu à ma première lettre. Vous ne l’avez peut-être pas reçue car le courrier chez moi ne marche pas très très bien. Existe-t-il un appareil qui permette aux autres de détecter l’enfant que j’ai dans le ventre ? Car c’est plus fort que moi, je ne peux pas l’avouer parce que je suis fière et maladroite, et bête aussi des fois. Et pourtant, j’ai des choses, des mots, qui tournent dans ma tête comme des coups de vent et qui veulent pas sortir et qui me rendent sourde tellement ils sont bruyants. J’espère que cet appareil est puissant car mon secret est rusé et ma tête est compliquée.

J’espère que vous me répondrez vite.

Céleste Roussel

Mongreleix

22. SALON. INTERIEUR JOUR.

La jeune factrice, assise à l’extrémité du banc de la cuisine, retire sa veste, sa chemise, son soutien-gorge. Le père de Céleste, assis à l’autre extrémité, la regarde, surpris, heureux. La factrice a envie de rire. Il est  ému. La factrice semble attendre sa réaction, mais il reste impassible, tétanisé par leur audace.  

23. COUR RENE. EXTERIEUR JOUR.

 

René, dans sa cour de ferme vieillissante, tient entre ses mains la dernière dent qui lui restait.

24. TOURBIERE. EXTERIEUR JOUR.

 

Dans une petite barque, Céleste avance sur l’eau de la tourbière. Céleste passe son détecteur au raz du courant.

Le corps de René a été ramené sur la rive, deux pompiers sont arrivés et s'apprêtent à l'emmener. Céleste, assise et trempée, garde René dans ses bras, elle tremble. Un jeune pompier lui pose sur les épaules une couverture. Il attend. Il remarque le détecteur de Céleste à ses côtés. Il l'interroge du regard. Céleste fouille dans les poches de la combinaison de René et en sort une petite dizaine de dents métalliaques déchaussées et les montre au jeune pompier qui les regarde, ému  par ce mystère de l’âme humaine.

 

25. PRAIRIE. EXTERIEUR FIN DE JOUR.

Céleste avance dans sa prairie, des cloches de vaches autour de son cou et de ses bras. Elle les secoue, les cloches résonnent dans la montagne. Céleste est comme perdue.

26. AUTOROUTE. EXTERIEUR NUIT.

Céleste conduit sa bétaillère sur une route longue et étrangère, elle s’endort au volant de son véhicule poussif.

27. BUREAU DE POSTES. INTERIEUR JOUR.

 

Il y a la queue dans l’agence. Céleste prend son tour. À l’un des guichets, elle reconnaît celui qu’elle cherchait, l’amant, le facteur muté ici loin d’elle et de sa montagne. Il ne la voit pas, elle se cache derrière les autres clients. Elle le voit rire avec une jeune collègue. Céleste sort de sa poche son petit miroir, un vieux stylo et se barbouille de noir une incisive.

La queue diminue. Ça y est, c’est au tour de Céleste. Elle se présente devant le guichet de l’amant retrouvé. Il a un peu changé. Un peu vieilli peut-être, un peu rapetissé.

Il la voit. Il sursaute sur son siège rembouré. Il ne peut tout de même pas s’échapper. On le regarde. Il avale sa salive. Dans son regard apeuré, une culpabilité mal assumée. Céleste est à son niveau.

Le facteur  

Céleste ! qu’est-ce que tu veux ?

Céleste hôche la tête. et sourit de son sourire nouvellement édenté. Il est surpris.

Le facteur

Qu’est-ce que tu veux ?

Céleste ne répond toujours pas. Elle hôche la tête de l’autre coté et le regarde au plus profond de son être. La collègue rieuse passe par là et regarde cette drôle de cliente. La gêne du facteur est visible. La collègue vient à son secours.

L’employée des Postes

Madame, on peut vous aider ?

Céleste fait comprendre par des gestes rapides qu’elle est sourde et muette. L’employée comprend.

L’employée des Postes (au facteur)

Elle est muette, la dame. C’est pas de sa faute .

L’employée a envie de rire. Céleste fait celle qui ne comprend pas. Le facteur aimerait rentrer sous terre. L’employée se met à articuler de façon grotesque.

 

L’employée des Postes

Vous voulez des timbres, poster une lettre ?

Céleste fait non de la tête. L’employée des Postes se décourage et moqueuse, laisse son collègue dans la panade. Elle retourne à ses propres clients.

L’employée des Postes

Bon, ben, je te laisse, amuse-toi bien .

Le facteur reste perplexe. Céleste reste là debout à le regarder.

Le facteur

Qu’est-ce que tu veux ?

Céleste secoue la tête, et recule du guichet pour laisser la place à d’autres clients plus pressés qu’elle.

Néanmoins, elle reste dans l’agence, à observer son ancien amant dans ses nouvelles fonctions. Il vend des timbres, des enveloppes, se fait secouer par des clients avares de leur temps. C’est petit, comme vie.

 

28. VOITURE DANS CENTRE-VILLE. INTERIEUR/EXTERIEUR NUIT.

 

Céleste et son ancien amant sont assis l’un à côté de l’autre à l’avant d’un véhicule neuf. Dehors, les lumières de la ville. Ils se regardent.  

Le facteur

T’as pas fait 400 kilomêtres pour rien me dire ?

Céleste ferme les yeux et pose sa tête sur la portière. Toute la fatigue de la nuit et du trajet semble tout d’un coup l’abattre.  

Le facteur

Tu vois bien, j’ai changé de vie.

Elle le frappe, comme il se laisse faire, elle arrête. Un temps.

Céleste

C’était quoi le menu de ton mariage ?

Le facteur est décontenancé.  

Le facteur

Pourquoi tu me demandes ça ?

Céleste

Allez, dis-moi, qu’est-ce que vous avez boulotté ?  

  

Le facteur

… Bon, alors, en entrée, c’était des coquilles Saint-Jacques flambées au saumon fumé.  

 

Céleste  

Ah c’est bien. Et en plat principal ?  

Céleste s’endort tout doucement.

Le facteur

Ah… Alors, en plat principal, on a mangé de la noisette de chevreuil forêt noire accompagnée d’une mousseline d’artichauts. C’était très bien présenté, c’était très bon…

 

Céleste est endormie. Il se rapproche du creux de son cou.

Le facteur

Tu sens le lait caillé.

Il est ému, comme remué par d’anciens souvenirs.  

Plus tard. La nuit est profonde. Les lumières de la ville sont parcimonieuses. Le facteur s’est endormi contre sa portière. Céleste se réveille. Elle regarde autour d’elle et une dernière fois, contemple son ancien amant.

De sa bétaillère, elle fait descendre délicatement sa vache préférée marquée de la phrase toujours bien lisible : “ J’AIME CELESTE ”. Elle l’accroche à la portière de la voiture du facteur, en ayant pris soin de mettre du foin aux pieds de la bête. Elle tapote la tête de l’animal tout étonné de se retrouver en pleine ville.

  

musique 21 (arpegemontant)

29. CUISINE. INTERIEUR NUIT.

Le père de Céleste a installé sur la grande table de cuisine, celle qui a servi å plusieurs générations de mangeurs, toute une collection de faire-parts de décès, il les classe  dans un ordre bien personnel,,. il y a beaucoup de morts ces temps-ci et il a bien du travail et du retard dans ses rangememts...

30. CHAMBRE. INTERIEUR JOUR.

Céleste finit d’accrocher les bandelettes qui serrent son ventre, puis le corset qui  lui compresse douloureusement le ventre. Puis elle passe un pull, un deuxième pull, un troisième pull. Elle est couverte, c’est sûr mais elle est aussi bien camouflée. Céleste a encore changé, quelque chose qui s’adoucit dans la silhouette. Ses cheveux lui noient complètement le visage. Céleste ouvre son volet. L'hiver, le froid, la neige ont transformé le paysage et la cour de la ferme.  .

31. ÉTABLE. INTERIEUR NUIT.

 

Céleste boit une louche de lait encore fumant à même le seau. Des moustaches blanches se sont dessinées autour de ses lèvres.

Les vaches mangent leur foin. Les veaux têtent. Céleste boit à s’en faire éclater le ventre.  

Céleste (voix intérieure)

Amis détecteurs,

Cela fait maintenant plusieurs mois que je vous ai écrit. Le temps passe et je n’ai toujours rien reçu. Et j’ai peur de moi et de demain. Les vaches se taisent, les montagnes se taisent, les tombes se taisent et moi aussi je suis toujours taiseuse. Je sais que c’est de famille. Mais il me le faut cet appareil à détecter les secrets que je n’arrive pas à dire. Il y en a trop dans ma pauvre tête de caillasse. Et l’enfant qui se remue, et maman que j’avais oubliée, s’il vous plaît, répondez-moi.

Céleste Roussel

Mongreleix

Cantal

 

32. GRANGE. INTERIEUR JOUR.

  

Le père tourne le dos à la factrice. Il retire son gros pull de laine, son maillot usé et montre son torse dénudé. Il est épais, velu, modelé par l’âge et le travail. La factrice passe doucement sa main sur son cou de taureau. Elle lui murmure dans le creux de sa peau.  

La factrice

Tu ronronnes, dis, tu ronronnes ? Je compte les poils de ton vieux dos, ah oui, ça y est, tu ronronnes. C’est vrai, tu es vieux, mais tu vois, trente ans, c'est rien trente ans.

Le vieux père sourit, gêné, ému. Oui, il ronronne, il se laisse faire. Elle, est émue de toucher ce corps d’homme si différent.  

33. PRAIRIES ENNEIGEES. EXTERIEUR JOUR

 

L’hiver est bien installé, la neige a tout  transformé, Céleste avance dans une prarie sous une légère tempête, le détecteur å mêtaux au bout du bras. Elle cherche, soudain, il sonne, elle se penche vers la terre et gratte avec fébrilité, elle semble sûre d’y trouver quelque chose d’important, c’est une journée spéciale aujourd’hui. Du sol, elle sort un petit bijou, une broche encore intacte, qu’elle tient fermement entre ses mains.

Céleste

Maman !

 

34. CAFE. INTERIEUR JOUR.

 

Scène de café, tout le village vient prendre l'apéro. Le jeune pompier vient vendre ses calendriers 2004. Ça rigole, ça boit, ça fait des commentaires, ça se remue, les calendriers passent d'une main à l'autre. Le pompier fait son numéro.  Céleste est accoudée au bar, elle a déjá un peu bu.

Céleste

Alors, ça marche aujourd’hui ?

Le pompier

Pas mal.

La vente et l’apéro continuent.

Un fermier

Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? Y’aura toujours douze mois par an.

Le pompier

Ah, c’est sûr.  

Le fermier

Enfin, ça nous empêche pas de boire un coup.

 

Ça continue, tout le monde boit, Céleste tient dans sa main un calendrier avec en photo la compagnie des Pompiers de Mongreleix-Cantal. Céleste est à l'aise et participe à la liesse.

  

35. CHEMIN DU BURON. EXTERIEUR JOUR.

 

Céleste et le pompier montent le chemin du buron. La montagne, enveloppée de sa blancheur neigeuse semble tranquillement les attendre.

36. BURON. INTERIEUR NUIT.

    

À l’intérieur, une étable d’un autre âge, de la pierre dure faite pour résister aux grands froids de l’hiver. Ni eau, ni électricité, aucun confort pour ceux qui ont travaillé ici. C’est désormais un lieu abandonné. Quelques vestiges de vie y traînent ici ou là, un verre, un bol, une assiette ébréchée, une bouteille posée sur un bout de table.  

Céleste découvre ce qu'elle a caché dans le creux de sa main. C’est un nid fait de bouts de laine, de feuilles, de mousse, de foin. Ça semble respirer. D’imperceptibles petits cris rendent la curieuse chose vivante, toute une famille de loirs.    

Céleste

Ils hibernent.  

Elle lui caresse le ventre. L’animal innocent se laisse faire, réagit sans pour autant se réveiller. Il ne se réveillera qu’au printemps. Le pompier le caresse à son tour. Puis Céleste le repose parmi les siens. Toute la famille roupille à poings fermés.  

Céleste (fière)

C’est là que mes parents m’ont fabriquée.

Le pompier (surpris)

Pardon ?

Céleste

Oui, c’est ici que mes parents faisaient l’amour pour être tranquilles…

Le pompier s’amuse de la tournure que prend la conversation.  

Le pompier

Ah oui ? Il fait frisquet pourtant.

Céleste

J’ai été fabriquée au mois de juillet .

Le pompier

Ah bien-sûr, c’est mieux pour se déshabiller .

Le pompier se baisse vers elle et l'embrasse entre les deux seins.

Céleste

Plus tard, pas maintenant.

Il hôche la tête, il est d'accord.

 

37. CHAMBRE CELESTE. INTERIEUR JOUR .

Céleste se bande le ventre avec encore plus de violence, puis accroche å son bandage dissimulateur de gros ventre la broche retrouvée de sa mère.

38. SALON. INTERIEUR NUIT.

Sur la table traîne la pile des faire-part de décès collectionnés par le père.  

Il s’est endormi à l’angle de la table. Les faire-part l’ont exténué.  Une écriture peu habitué au stylo et des tentatives de textes, des ratures, des patés…

 

Céleste, sa fille,

a la douleur de vous faire part du décès de son père

survenu à l’âge de 100 ans.

Priez pour lui.

Céleste, sa fille

a l’immense douleur de vous annoncer

 le décès de son père bien-aimé

 à l’âge de 99 ans.

Céleste, sa fille,

demeure inconsonlable de la perte de son cher père

à l’âge de 97 ans.

 

39. COUR DE FERME. EXTERIEUR JOUR.

Passe dans la cour de la ferme, la vache anciennement marquée “ J’AIME CELESTE ”, maintenant marquée de la phrase : “ RETOUR A L’ENVOYEUR ”.

Céleste s’approche d’elle et la caresse, surprise de la retrouver.

40. CHAMBRE. INTERIEUR FIN DE JOUR.

Céleste qui respire avec difficultés, retire un à un ses bandages. Son ventre, meurtri, marqué de bleu, et traces de contractures, de veines compressés, se découvre.

 

41. CASERNE DES POMPIERS. INTERIEUR NUIT.

Céleste avance, luttant contre les douleurs de ses contractions, dans la caserne endormie et déserte. Elle monte dans le camion rouge. Elle s’assoie à la place du chauffeur, triture les boutons,  et finit par trouver la sirène : Pimpon ! Pimpon !  

Trois pompiers s’activent autour de Céleste qui accouche sur un brancard.

Céleste a posé sa tête sur l’épaule du jeune pompier qui tente juste par sa chaleur de la calmer. Elle s’y abandonne, dans les cris de sa douleur de bête.

  

L’enfant vient. Il est pressé. Céleste partage enfin son secret. Céleste met au monde l’enfant du facteur, l’amant lointain. Le jeune pompier la regarde, ému, maladroit, attentif.

L’enfant vient de naître. Un pompier le tient à bout de bras. L’enfant s’anime et pousse son premier cri.

Un pompier

Putain, quelle crevette !

Céleste rit.  

 

42. ETABLE. INTERIEUR MATIN.

C'est l'heure de la traite du matin. Les machines de traite font un bruit de cœurs qui battent. Le pompier essaie d’assurer le travail mais c’est une première pour lui.

  

43. SALON. INTERIEUR JOUR.

Le père de Céleste, encore ensommeillé, est planté devant son meuble-vitrine aux objets détectés. Son musée a été complètement chamboulé. Des objets ont été sortis, renversés.

Il est de méchante humeur vers sa vitrine. Il a comme un doute… Il s’approche encore… Il ne rêve pas, il ne rêve plus, il y a ici posé sur l’étagère un minuscule être humain endormi et serein.

Le père de Céleste ouvre délicatement la vitrine et touche l’enfant. L’enfant réagit, sursaute. Le père de Céleste a besoin de se poser, d’asseoir son gros corps d’homme ému et suffocant.

 

44. TOURBIERE. EXTERIEUR JOUR.

C’est la fonte des neiges. La tourbière retrouve quelques couleurs. L’eau y est visible à nouveau. La nature redevient causante. Céleste lit une lettre devant sa tourbière. Son enfant de deux mois sur les genoux dort dans la chaleur de ses seins.

Céleste (voix intérieure)

Chère Céleste Roussel,

Nous avons bien reçu vos différents courriers. Nous sommes désolés du temps que nous avons pris pour vous répondre. Mais “ LA PASSION DE LA DÉTECTION ” réclame du temps et de la patience. Nous avons réfléchi à votre détecteur de secrets, que l’on n’arrive pas à dire par pudeur, par fierté, par colère par peur d’être découvert, dépossédé, ou bien parce que leurs destinataires partent sans laisser d’adresse et que l’on veut pour soi préserver quelque chose de gai. Parfois les secrets restent enfouis, inavoués, et c’est peut-être mieux ainsi.

Nous avons donc étudié les aspects techniques d’un tel instrument. Et nous en sommes arrivés à la conclusion que les secrets sont faits de matière si diverses qu’un seul appareil ne suffirait pas à leur détection.

Nous ne pouvons donc malheureusement pas honorer votre commande et nous vous renvoyons votre chèque.

En espérant que vous resterez néanmoins notre fidèle lectrice, veuillez recevoir nos sentiments les plus cordiaux.

Le comité de rédaction

De LA PASSION DE LA DÉTECTION

Paris.

Céleste respire à pleins poumons dans le bleu du ciel ouvert.

FIN