En printemps 2006, j’ai décidé d’arrêter ma thèse à la faculté. Je pensais que je n’étais pas assez bon pour ça.

Quelques mois plus tard, on m’a informé d’un concours de projets de court-métrage à Taiwan. Pris par le temps, j’ai écrit un scénario intitulé « Séance Familiale » en trois jours sur une idée que j’avais dans la tête depuis quelques mois.

Depuis, j’ai traversé une période assez difficile dans ma vie. Je n’avais pas de travail, pas de projets en vue, et je pensais que je n’avais pas de talent pour faire du cinéma. Pour faire un point, j’ai décidé de quitter Paris et j’ai loué un appartement pendant un mois à Marseille pour m’isoler. C’était en Novembre 2006.

Ce mois de séjour à Marseille m’a redonné confiance en moi. Je suis retourné à Paris avec des projets plein la tête. J’ai commencé à imaginer des projets personnels à réaliser sans argent…

Mais en décembre, un coup de fil a changé ma vie. On m’a annoncé que j’avais gagné ce concours du projet à Taiwan et que je devais tourner le film « Séance Familiale » dans les 18 mois à venir. Cette nouvelle a bouleversé ma vie.

À ce moment-là, j’étais seul sur le projet avec l’équivalent de 20 000 euros de subvention en poche. Je me suis dit : si je ne fais qu’un film dans ma vie, il faut que ce soit celui-ci. Il faut saisir sa chance car ce métier est tellement difficile ! Je commençai à chercher une production exécutive à Taiwan et une production en France pour diriger le projet. Je voulais que tout se passe dans les meilleures conditions possibles.

Les premiers contacts ont été difficiles à Taiwan. Après deux mois de négociation, la première boîte de production n’a pas voulu investir plus d’argent dans le projet. La deuxième boîte de production a fait faillite après un mois et demi d’engagement. Heureusement je n’avais rien signé avec eux. Côté français ce n’était guère mieux. J’ai eu beau envoyer le projet à plusieurs boîtes de productions, personne ne semblait réellement intéressé.

Je ne suis pas du genre à me laisser abattre, surtout que le contrat avec le gouvernement taiwanais ne me laissait pas beaucoup de choix. Il fallait continuer à me battre.

J’ai envoyé le scénario à une amie pour qu’elle me donne son avis. Quelques jours plus tard, elle m’a dit qu’elle avait envie de produire le film même si elle n’avait jamais produit un court-métrage de fiction. J’ai dit oui tout de suite. Elle s’appelle Pamela Varela. J’ai gardé ses enfants quelques années auparavant et c’est pour ça que nous sommes devenus amis. Je savais que je pouvais lui faire confiance. À partir de là, tout démarre grâce à elle et je me sens moins seul.

Pamela prépare le dossier et l’envoie au CNC. Entre temps, je trouve une petite boîte de production à Taiwan et la préparation du film commence dans les deux pays. On décide rapidement de tourner le film à Taiwan pour garder l’esprit du film et pour conserver une bonne énergie. Je commence le casting à Paris pour le rôle de Pierre, mais également à Taiwan, à distance. L’angoisse est toujours là : est-ce que nous aurons assez d’argent pour tourner le film ?

Septembre 2007 : je suis en vacances au Portugal. Pamela me téléphone et pleure au bout du fil. On a eu les aides du CNC, et ARTE s’intéresse à notre film ! Tout est devenu possible.

J’ai trouvé enfin le comédien qui me convient pour le rôle de Pierre. Je lui donne un mois de cours intensifs en chinois. Il s’appelle Bryan Polach, c’est un garçon adorable, attentif, il apprend vite. Mais du côté de Taiwan, tout patine. Les deux productrices exécutives n’ont toujours pas trouvé de décor. Elles n’arrivent pas à négocier les salaires des comédiens taiwanais ? là-bas, ce sont des comédiens très connus. Le pire, c’est qu’elles ont déjà engagé des gens à la production mais rien n’a été fait. C’est une « prise de tête » permanente…

Un mois et demi avant le tournage, avec Pamela, nous allons à Taiwan pour démarrer la préparation du film avec les Taiwanais. En quatre jours, je suis contraint de renvoyer trois personnes parce qu’elles ont beau recevoir de bons salaires, elles ne travaillent pas ou travaillent mal. C’est difficile pour moi car je n’ai jamais fait ça. Le but de ce film, c’est aussi que les gens puissent travailler et toucher un salaire correct. Mais pour le bien du film, je dois faire des choix. Je fais également une chose qui effraie ma productrice : je décide de changer de chef-opérateur. Comme je veux travailler avec un Français, Pamela doit trouver un autre chef-opérateur à trois semaines du tournage. Ce que personne n’a jamais fait, je crois, c’est que mon nouveau chef-opérateur, Thomas Bataille, a accepté de travailler avec moi sans jamais me rencontrer avant. Nous nous sommes vus seulement à une semaine du tournage. Bien évidemment, on a échangé longuement au téléphone à plusieurs reprises avant son arrivée à Taipei pour qu’il comprenne ce que je voulais exactement.

Pour le film, esthétiquement parlant, je voulais tenter de faire quelque chose d’un peu particulier. Au début du film, je voulais un style un peu burlesque, un peu comique, mais sans sombrer jamais dans la caricature. Petit à petit, quand la caméra s’introduit dans la famille, on entre dans quelque chose de plus étalé, plus doux, tout en mouvement. Ce choix s’est imposé très tôt. Dès l’écriture, j’avais la scène finale en tête : la famille, dans le salon, encerclée par la caméra qui tourne autour d’elle. Les autres plans sont décidés à partir de ce plan, et l’on remonte jusqu’au début du film. Du même coup, il y a presque deux styles dans un seul film de moins de 30 minutes. Le défi est donc de trouver une bonne transition pour que le film marche et que le spectateur ne s’aperçoive de rien. Le cinéma n’est pas une science exacte : cette tactique pouvait très bien fonctionner sur papier, mais pas forcément à l’écran.

Après une semaine de répétition, d’essais des costumes et du maquillage, le tournage commence. Le décor est entièrement construit dans un appartement vide. Je me souviens, la veille du tournage, je suis arrivé dans ce décor et j’ai vu de loin un appartement qui était comme vrai, cela m’a convaincu que le film pouvait être crédible.

Sur le tournage, j’étais assez tranquille. Finalement, je n’avais pas trop de chose à faire. Car tout avait été beaucoup préparé en amont. L’équipe s’entendait bien. Aucune engueulade. Pamela avait prévu une interprète sur le plateau. Elle voulait que je me concentre sur le film. C’était un très bon choix car je ne me mêlais jamais des soucis techniques et je passais beaucoup de temps avec les comédiens. Je passais aussi beaucoup de temps à regarder les gens s’activer autour de moi. C’était comme un rêve et j’étais presque comme un spectateur. Quand tout était prêt, je venais valider la lumière ou le mouvement de la caméra.

Je suis un grand fan du plan en mouvement sur rail. Ce film m’a permis enfin de travailler sur les plans plus longs et en mouvement. La première fois où les techniciens ont commencé à installer les rails, j’étais comme un gosse qui reçoit son cadeau de Noël ! C’était tellement incroyable... C’est là où j’ai compris que j’étais en train de faire du cinéma, un cinéma avec une esthétique dont j’avais rêvé depuis une dizaine d’années.

Le dernier jour de tournage a été très difficile pour moi. C’est là où je me suis dit : c’est la fin d’une belle histoire. Je me sentais tellement bien, c’était inconcevable de voir que tout se terminait au bout de dix jours de tournage. Le pire était de ne pas savoir quand est-ce que j’aurais la possibilité d’exercer à nouveau mon métier, peut-être jamais.

La post-production a été effectuée entièrement en France. Le montage a été fait dans une très bonne ambiance. J’ai été également très impressionné par Didier Cattin, mon monteur et mixeur son. Il ne parle pas un mot en mandarin mais il fait tout comme s’il parlait de cette langue depuis toujours.

Quand tout se termine, je me sens vraiment tranquille. Je sais que j’ai fait mon maximum pour que le travail soit à la hauteur. Aujourd’hui, le film ne m’appartient plus. Il va dans les festivals, passe dans les salles de cinéma à Taiwan, est diffusé à la télévision en France. Qu’est-ce qu’on peut demander plus pour un court-métrage ?

Grâce à la fabrication de ce film, je suis devenu beaucoup plus serein. Je sais que je fais un métier qui me plaît. Je sais que je n’ai pas honte de montrer mon travail. Au moins une fois dans ma vie, j’ai senti que j’ai accompli quelque chose. Mes parents qui ne voulaient absolument pas que je fasse ce métier sont aujourd’hui très fiers.

Cheng-Chui Kuo, mars 2010

 

 

 

Retour à l'accueil <Séance familiale>