Ce film a pour point de départ l'affaire  d'esclavage moderne  dont Akosse Legba jeune togolaise a été victime. Durant l'entretien de quatre heures qu'elle nous a accordées, elle a détaillé les conditions de son incarcération en France, mais elle a aussi exprimé ses doutes et ses espoirs, et raconté sa jeunesse au Togo Sa vie s'est révélé n'être qu'une suite de batailles, de luttes pour sortir de sa condition sociale, celle d'être née femme et pauvre en Afrique, dans un village reculé.

Tout au long du film c'est le portrait d'une femme déterminée mais seule qui se dessine. Dans les intérieurs vides d'un appartement bourgeois, se joueront les réminiscences de la mémoire d'Akosse. Au fil de la  visite  des différentes pièces de l'appartement, nous plongeons dans les méandres d'un passé de plus en plus lointain. C'est une voix perdue, esseulée, qui flotte dans les pièces vides, comme des échos.

L'appartement devient symbole : il est l'antichambre de sa mémoire. Par ses mots mais aussi la grâce fragile de sa voix, les lieux vides prennent vie.

La démarche du film est de reconstituer sa personnalité à partir de son récit, puis de traduire ses paroles par un univers visuel aux partis pris esthétiques particuliers.

Il s'agit de re-mettre la voix en relation avec le monde silencieux dans lequel elle fut enfermée, rabaissée au rang d'objet, niée dans sa pensée et sa foi. Cette voix singulière a une histoire, un timbre particulier, un accent.

Le film révèle trois lieux différents chacun représentant une période précise de la vie d'Akosse. Il y a le Togo de son enfance avant le départ pour la France. Ensuite, l'appartement, qui représente toute la période d'enfermement et enfin, une maison quelque part à la campagne, lieu où elle habite actuellement, dans une famille d'accueuil.

L'appartement, théâtre du film, sera le lieu privilégié du récit au même titre que  l'espace sonore  –constitué par la voix-off d'Akosse, des ambiances de France et du Togo. Sa voix et ses silences compteront davantage que les séquences sonores plus  riches  –celle d'un marché en plein c ur de Lomé, par exemple.

Dans l'appartement.

La période de réclusion.

Dans l'appartement, je filmerai essentiellement les objets qui peuplent les pièces suivantes : le salon, la cuisine et le couloir.

Ces lieux et objets  illustreront  les propos d'Akosse sur sa condition. Ainsi des marques au sol, des fissures sur les murs, d'un éclat de lumière sur un verre, des reflets Filmer ces jeux de formes, des couleurs, des matières, nous amènera à abandonner l'illustration pour l'abstraction. Ces images teinteront les propos d'Akosse, participeront à l'élaboration d'une atmosphère vivante au coeur de lieux pourtant vides et froids.

A la campagne.

Plusieurs séries de photos seront prises après le prochain entretient avec Akosse. Ces photos auront la particularité de ne jamais vraiment la représenter, de la garder dans l'anonymat, suivant ainsi son souhait. Cette contrainte est très stimulante, seuls des détails de son visage, des mains, des cheveux seront photographiés. Des détails flous, abstraits, graphiques qui fonctionneront entre eux comme les pièces d'un puzzle, celui du visage d'Akosse. Au-delà du figuratif, c'est une personnalité que nous allons essayer de saisir et qui se recomposera lentement au cours du film à travers ses confidences.

Quelque part au Togo.

Des détails d'une végétation, un paysage, un groupe de gens, des regards d'enfants. Les souvenirs du Togo seront uniquement représentés par des photos associées à une prise de sons réalisée sur place en septembre prochain. Ces séquences photographiques seront d'une teinte sépia.

Au Togo, j'assurerai les prises de vues photographiques noir et blanc et serai accompagné de mon ingénieur du son. Elles seront plus tard filmées au banc-titre sur support 35 mm en même temps que les photos de portraits d'Akosse.

On mêlera les séquences filmées dans l'appartement avec les séquences photographiques faites au Togo et les  portraits  d'Akosse.

Ainsi va-t-on reconstituer les images de son passé au Togo, au détour d'un plan pourra jaillir une séquence photographique réalisée là-bas. C'est alors que l'espoir pourra renaître car ces souvenirs qui lui réchauffent le c ur lui rappellent qui elle est.

Le son permet d'exprimer le processus d'affranchissement d'Akosse, qui, à travers ses rêves, transporte son esprit ailleurs le temps d'un souvenir.

Le film sera audio avant d'être visuel : on peut parler d'une  mise en son  qui déterminera la  mise en scène  . En effet, tout est basé sur la parole d'Akosse, la musicalité de sa voix, les silences, les sons. Il était très important pour moi de commencer par cette interview et d'aborder le film par le son et non par l'image, offrant d'autres possibilités de narration et de mise en scène. A plusieurs reprises, les images disparaîtront, plongeant l'écran dans le noir absolu. Toute l'attention se concentrera alors sur la voix d'Akosse et son récit.

Ces éléments hétéroclites font partie du même puzzle, celui de sa mémoire et de la personnalité qu'elle reconstruit lentement. Les pièces finiront par coïncider ; par le montage les images se répondront, les sons participeront à la même harmonie.

Cette démarche face au réel est à rapprocher de celle de l'écrivain George Perec, elle pourrait se résumer ainsi : Tenter de saisir, non ce que les discours officiels (institutionnels) appellent l'événement, l'important, mais ce qui est en dessous, l'infra ordinaire, le bruit de fond qui constitue chaque instant de notre quotidienneté.

Autrement dit ce qui se passe, quand rien ne se passe.