La Femme seule réalisé par Brahim FRITAH

 

(...la jeune femme travaillait pour ses « protecteurs », un couple d'origine Africaine. Pendant plus d'un an, elle nettoyait l'appartement et s'occupait des enfants, sans aucune rémunération, ni jour de repos.)

 

Extrait d'un article publié dans la presse quotidienne

«  Tu prends un bout de tissu, comme ça et puis tu roules ça comme ça. Tu mets dessus et puis tu attaches, tu attaches ça avec une corde. Les deux parties. Tu mets ça sur la tête.

Je m'appelle Legba Akosse. Je suis Togolaise. J'ai 32 ans. Je rêve toujours que je vais aller en France, je vais trouver mieux là-bas.

Elle a fait les papiers en France. Ils ont diminué mon âge. Et elle a dit que je suis sa fille. Elle m'a donné 16 ans. Quand je suis arrivée, la première chose qu'ils ont fait, c'est prendre le passeport et tous les papiers.

Quand j'étais petite, j'habite dans un village du Togo avec ma grand-mère. Chaque week-end, je rentre dans les bois pour chercher des morceaux de bois pour aller vendre ça au marché. J'ai commencé, c'est moi-même qui a acheté des ardoises et tout ça : craies, tout. Moi aussi je vais à l'école. J'ai commencé comme ça.

Notre père, il est tombé sur une autre femme. Il a laissé tomber ma mère. Il s'occupe d'eux, mais pas nous. Pas nous. Mais il est toujours notre papa. Ça nous suffit. On sait qu'on a un père. Ça nous suffit.

Les gens se moquent de moi : que mes petites soeurs, ils sont mariés, ils ont des enfants et moi je suis toujours pour rendre service aux gens...pour l'éternité. J'ai dit : «  Mais moi, je veux faire quelque chose » pour sauver ma famille quoi. Parce que tous mes frères, mes soeurs, ils sont au village. Eux aussi, ils sont comme nos parents : rien ne bouge pas. Ils ont dit que les ménages comme ça, que c'est pas du travail, moi je veux faire ça, je veux faire ça pour aider ma famille.

Je veux pas que ma mère soit tout le temps triste. Arrivée à Lomé, j'ai trouvé du travail et j'ai continué du ménage. J'ai continué, j'ai continué comme ça. Et chaque fin du mois, j'envoie l'argent à ma mère parce qu'on est une famille très très très pauvre.

Et son mari, quand je l'ai vu la première fois, il parle pas, il parle pas hein, il est comme ça, mais son caractère, c'est...tu peux pas supporter.

Avec sa famille, tout va bien : il rigole. Dès que moi je rentre au salon, il change de caractère. Il veut pas que j'existe quoi.

Elle m'avait dit si j'ai envie de prendre un yaourt, il faut que je prenne un yaourt. Le jour que j'ai pris un yaourt, son mari a dit : « Les yaourts, c'est pour les enfants, ça coûte cher ! » Et j'ai dit : « Excuse-moi ».

Tout ira bien. C'est ce que j'ai dit à ma mère avant de partir. J'aime pas crier, elle n'aime pas crier non plus. Elle me parle, je l'écoute et puis on parle doucement, et puis c'est tout. Je l'avais promis, que je vais aller jusqu'au bout pour pouvoir réparer sa case.

Je connais personne pour pouvoir parler un peu et je suis enfermée, je sors pas. J'ai peur de tout. J'accepte tout. J'accepte tout pour que les choses aillent bien.

Et une fois, sa femme, elle m'a emmenée au marché. Elle est devant, t'es derrière. Si tu te mets à côté d'elle, elle va te regarder comme ça, et tout de suite, tu sais qu'elle veut pas que tu sois à côté d'elle. Je suis pas présentable pour être à côté d'elle.

Avec les enfants, tout va bien. Ils m'aimaient bien. Mais la grande, elle a un caractère comme son père. Il faut que je reste toujours derrière les enfants. Chaque chose qu'ils font, si eux-mêmes ils ont cassé quelque chose, après, ils vont tourner que c'est moi. Le mercredi, c'est la joie pour les enfants. Moi aussi je rigole, moi aussi je m'amuse quoi. Je les apprends à danser les danses africaines : elles sont très contentes. Et la petite, si elle dort pas, elle est toujours sur moi. J'ai pas encore eu des enfants, mais j'essaie.

Dès que les parents ils arrivent, ça y est, c'est parti. Sa femme, elle te regarde pour voir quelle quantité tu vas prendre pour manger. Moi, je prends un peu pour qu'ils sachent que j'ai mangé avec eux et je fais vite vite pour sortir au salon. Et j'ai dit à sa femme que je peux manger à la cuisine. Ça ne me dérange pas. S'ils ont fini de manger, je peux venir débarrasser la table.

C'est lourd dans mon coeur et puis je vis avec.

La nuit c'est une bonne bonne nuit si moi je me couche comme ça sans larmes qui coulent jusqu'au matin. C'est comme ça. Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi ils ont dit que je viens les aider ? Je m'encourage moi-même, je dis : « Tu as de l'espoir, il faut garder ton espoir, un jour ou l'autre tu vas t'en sortir ».

C'était au mois de septembre, pendant trois semaines, quand ils sont partis. Y a rien. Avec vingt euros, j'ai fait des courses et j'ai acheté ce qu'il fallait. Dès fois, je peux rester du matin jusqu'au soir sans manger. Je bois de l'eau, c'est tout. Je mange que du riz, le riz cassé qu'ils ont laissé, je mange que ça. Après tout ce que j'ai subi avec eux, je peux partir, je peux fouiller dans ses affaires pour trouver mon passeport et puis je pars avec. Je peux partir mais j'aime pas faire les choses derrière les gens quoi. J'ai regretté, j'ai regretté.

Des fois, je disais : « Si j'ai des ailes, je peux voler pour aller...au Togo ».

Je demande le passeport pour garder avec moi et son mari a commencé à crier : « Qu'est-ce qu'elle dit ? Qu'est-ce qu'elle demande ? De toute façon, le passeport, ce ne sont pas à elle ! » Ils ont bloqué toutes les portes, ils ont bloqué tout. J'ai peur.

Son mari a couru vers moi, il a attrapé le derrière de mon manteau et je suis renversée dans l'escalier. Je sais plus ce qui s'est passé après.

Quand j'ai ouvert les yeux comme ça, il a commencé à me gifler, il m'a giflée, giflée, giflée, il m'a enlevé mes chaussures, il m'a donné des fessées, des fessées, il me frappe avec ses pieds, comme un ballon, comme ça et sa fille a commencé a pleurer, à pleurer : « Papa, j'ai peur ! Papa, j'ai peur ! Tata, elle va mourir ! Tata, elle va mourir ! »

J'arrive pas à tenir debout, côté droit comme ça, c'est gonflé. Et j'ai posé la question à son mari : « Quand je suis venue chez vous, je boîte pas, j'ai pas un bras cassé et une partie morte, et toi, tu vas m'emmener chez ma mère comme ça ? ». J'ai dit : « Vous êtes nombreux, moi je suis seule. Faites tout ce que vous voulez ».

Les gens qui sont dans l'immeuble, ils voient tout ça. Y a une dame qui est venue au commissariat : « Comme ça, ça se passe comme ça, et puis que c'est grave ! » Et les policiers, ils sont venus, ils ont demandé mes papiers, ils m'ont ramenée au commissariat. Ils m'ont posé des questions, comment c'était arrivé avant que ça soit comme ça. Moi, j'ai parlé. Et après, il ont lu ce que j'ai dit, ils m'ont dit que c'était une plainte que je portais.

Au foyer, j'ai changé un peu, j'ai grossi un peu. Je reste à l'écart, je veux pas que les gens ils demandent : « Quel est ton problème ? T'es quand même partie, sans papier ». Je n'existe pas. Des fois, l'assistante sociale, elle m'appelle que je descends. Et puis, elle discute avec moi un peu, elle me fait rigoler un peu. Je rigole mais je rigole comme ça, mais au fond, au fond, les choses que j'ai vécues, c'est pas parti.

Et là, la première fois que j'ai vu la neige, c'est comme...je suis au paradis quoi, j'ai oublié mes soucis. J'ai dit : « Mais, c'est quoi ? » Et ils m'ont dit que c'est la neige. J'ai dit : « Ah bon ? C'est ce qu'on appelle la neige ? » On entend à Lomé que y a la neige mais on n'a jamais vu. Je suis restée devant la fenêtre. Je regarde la neige depuis le matin jusqu'à 15 heures. Les enfants, ils sont descendus pour jouer dedans, je les regarde comme ça et plus ou moins, ça m'a changée beaucoup. Ca m'a donné une belle vue.

Je peux respirer, je peux respirer. Je sais qui je suis et je resterai comme ça. Je marche plus derrière. J'ai mis du temps, j'ai mis du temps... »